Open Wallet, épisode 4 : Jean-Marc Léger

Par Julien Brault | Publié le 03 août 2023

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Table des matières

    Jean-Marc Léger, pdg de Léger Marketing, avait déjà l’âge de 5 ans le souci d’épargner de l’argent. Depuis que son père s’était lancé en politique, la famille de cinq avait vu fondre ses revenus de manière dramatique. Jean-Marc Léger gardait même dans un cochon de l’argent, au cas où sa famille en manquerait. Ça n’a jamais été le cas, et Jean-Marc Léger a fini par fonder avec son père une firme de recherche marketing, qui est aujourd’hui la plus importante firme du genre à propriété canadienne. Malgré le succès, Jean-Marc Léger ne s’est jamais payé de dividende et espère éventuellement inscrire son entreprise au New York Stock Exchange ou au Nasdaq.

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    Julien Brault : Bonjour tout le monde. Bienvenue à Open Wallet. Aujourd’hui, j’ai la chance d’être avec Jean-Marc Léger, le président de la firme Léger Marketing. Merci beaucoup d’être là, Jean-Marc.

    Jean-Marc Léger : Avec plaisir.

    JB : Pour ceux qui découvrent l’émission pour la première fois, Open Wallet est une émission où j’interview des gens super intéressants. Ça peut être des gens d’affaires, ça peut être des sportifs, comme on l’a vu la semaine dernière, ou des gens qui ont réalisé des choses intéressantes peu importe le sujet et je leur pose des questions sur l’argent, parce que c’est un tabou dans la société ou du moins je pense que c’est un tabou dans la société et ça permet d’ouvrir le débat sur les finances personnelles, sur l’investissement, ce qui est un peu la mission de Hardbacon, qui est ma compagnie.

    Donc Jean-Marc, je vais te poser la question avec laquelle je brise la glace avec tout le monde : C’est quoi ton premier souvenir lié à l’argent et il faut qu’il y ait un montant dont tu te souviens.Donc, ton premier souvenir; si c’est indéfini, ça ne compte pas. C’est quoi ton premier souvenir ou tu te souviens si ça t’a coûté 33 cents ou 10 piastres ou quelque chose comme ça?

    JML: Quand j’étais jeune, à 5 ans, mon père a sorti une poignée de change. Puis dans la poignée de changes, il faisait toujours la même attrape, il y avait plein de monnaie blanche et il y avait une monnaie brune qui était celle du sou, et tous les enfants prenaient le sou parce qu’il était différent. Moi j’avais 5 ans, mais j’avais compris très très vite que le 25 sous, c’est ce qui valait le plus. J’avais pris le 25 sous, je me souviens, et j’avais fait 25 sous. C’est la première fois. J’avais compris la valeur de l’argent très jeune.

    JB : C’est cool ! Et qu’est-ce que tu faisais avec ces 25 sous ?

    JML : Je les ramassais. Je les ramassais tellement quand je ramassais de l’argent, c’est que j’avais un petit cochon que je gardais au cas où mon père aurait des problèmes financiers.

    JB : À quel âge ?

    JML : Moins de 10 ans, 7-8 ans. Mais c’est parce que mon père faisait de la politique. Et l’argent et la politique, c’est deux mondes. Mon père a fait de l’argent; il était millionnaire avant d’aller en politique. Quand il est arrivé en politique, puisqu’il s’est fait élire, il était député du Parti Québécois en 1970, il a été le premier député élu de l’histoire du Parti.

    Quand il a été élu, son salaire est passé de plusieurs centaines de milliers de dollars à 22 000 dollars par année.

    On était à cinq enfants. Alors, la valeur de l’argent, on l’a connu très très vite. Et moi quand j’étais petit, mon père disait : « Il faut faire attention, c’est serré ». On n’était pas habitué, parce que dans les premières années, il y avait beaucoup d’argent. Moi, j’avais mon petit cochon en me disant : « Si mon père a besoin d’argent, je serai là. »

    JB : Est-ce que ta mère était contre son entrée en politique ? J’ai l’impression que si, à cet âge-là, tu étais conscient de la situation financière, c’est qu’il devait y avoir une tension…

    JML : Non, mon père était heureux. Il n’y a jamais eu de tension monétaire. Mon père était heureux en politique, et la politique, à l’époque, ce n’était pas comme aujourd’hui où, souvent, tu as des professionnels de la politique qui font ça comme profession. Mon père, c’est tout un élan d’une époque d’après la Révolution tranquille. Quand tu voulais changer le Québec, tu allais en politique. Aujourd’hui quand tu veux changer le Québec, tu fais comme je fais, tu vas en affaire. C’est là que sont les vraies affaires, mais dans les années 70, ce n’était pas comme ça.

    JB : Quand est-ce que tu as compris ça? Je sais que tu as étudié en économie, que tu avais un intérêt pour l’argent, puis qu’à 5 ans, tu calculais tes 25 cents. C’était quoi tes premiers objectifs de carrière ?

    JML : Moi je suis plus un statisticien. Moi, c’est la statistique qui était mon métier. À 11 ans, j’étais responsable des Ligues du Nord de baseball. Je faisais les statistiques des joueurs de baseball, puis je me rendais au journal porter mes statistiques qui étaient publiées dans le journal, quand j’avais 11 ans. C’est ce que j’aimais faire, c’est les calculs.

    JB : C’était quel journal ?

    JML : C’est les hebdos du Nord, le Journal des Pays-d’en-Haut.

    JB : Et est-ce que tu faisais des paris sportifs ?

    JML : Non, pas des paris, mais c’est la statistique qui m’a amené là.

    JB : Non, mais c’est avec la statistique des fois tu peux…

    JML : Mais c’est le calcul aussi. Puis le calcul de l’argent fait partie de tout ça pour moi, calculer et faire des chiffres. C’est pour ça qu’aujourd’hui je fais un métier de statistiques.

    C’est ce que j’aime et, forcément, ce n’est pas de la statistique pour faire de la statistique.

    Il faut que ce soit rentable en bout de ligne. On pourra en reparler tantôt.

    JB : Mais tu as étudié en maths ou en économie ?

    JML : J’ai étudié en économie, mais je n’étais pas très bon en économie. J’étais très bon en mathématiques. Mes notes de mathématiques, c’était 90 et plus. Mes notes en économie, c’était moyen : 70-75-80. C’était plutôt moyen. Moi, je suis plutôt un gars de chiffres. Si tu as des chiffres, ça me colle dans le cerveau.

    JB : Au moment où tu as été à l’Université, est-ce que ton père était encore dans la politique?

    JML : Oui, oui, il était dans la politique. C’était dans les années 80. Il était ministre de l’Environnement à l’époque. Ministre du Tourisme qui était à l’époque, c’était une belle époque. Mon père disait toujours : « Ministre du Tourisme, c’est le plus beau métier, parce qu’on fait rentrer de l’argent neuf à Montréal. Ce n’est pas le ministre de la Culture qui, lui, distribue de l’argent déjà existant. Moi je fais venir du monde ici au Québec, au Canada ».

    JB : Est-ce que tu as dû financer tes études ? Comment ?

    JML : Oui. Mon père ne m’a jamais vraiment donné de l’argent. J’ai tout financé. Je travaillais l’été.

    JB : Qu’est-ce que tu faisais ?

    JML : J’ai fait toute sorte de travail. Mon premier travail, c’était bagagiste à l’hôtel La Sapinière.

    JB : Est-ce que tu te souviens combien tu étais payé ?

    JML : Le plus ironique là-dedans, c’est que j’ai 16 ans, c’est mon premier travail. C’est moi qui reçois, je suis bagagiste à l’entrée, l’hôtel La Sapinière, c’était à moi. Il venait arriver chez nous. C’était l’impression. Après deux semaines, je me demandais si j’étais payé.

    Je n’étais pas habitué à l’époque, je me dis que peut-être qu’ils ne me paieront pas, peut-être qu’ils ne m’aimeront pas, je ne sais pas. J’ai travaillé, puis tout d’un coup, j’ai vu mon premier chèque de paye. Finalement j’ai dit : « Finalement, ils avaient vu mon travail ».

    Quand tu as 16 ans, tu n’as pas conscience de tout ça.

    JB : Est-ce que tu te souviens c’était combien de l’heure ?

    JML : C’était minable, à l’époque je pense que c’était à moins de 1,50$ de l’heure. C’est des petits salaires, mais je ramassais. Après, d’été en été, j’ai travaillé dans des restaurants. Je travaillais au Gobelet. C’était la brasserie de l’époque le Gobelet sur Saint-Laurent.

    J’aimais ça parce que c’était le Montréal underground. C’était très rentable parce que tu faisais des pourboires sur la bière. Tu sortais de là avec de l’argent en liquide, 100-150 $ par soir.

    JB : Dans un sac ?

    JML : En argent liquide parce que les gens payaient en pourboire, parce que le salaire de base, c’était très faible, c’était 3 $ quelque chose pour quelqu’un qui travaille dans un restaurant. Je sortais de là, puis en plus, j’ai fait de la vente itinérante. En un été, j’avais fait 15 000 $.

    JB : Qu’est-ce que tu vendais ?

    JML : À l’époque, c’était des subventions gouvernementales, c’était des coupe-froid pour les portes. Tu vendais ça, ça ne coûtait rien à la personne qui l’achetait, c’est le gouvernement qui finançait. Mon été des 18 ans, j’avais fait 15 000 $. Là, j’ai compris que c’était possible de faire de l’argent. Il faut que tu sois indépendant si tu veux faire des choses. Depuis que je suis jeune, l’indépendance économique était fondamentale.

    JB : Ça vient de qui ? Parce que j’ai l’impression que c’est un terme récurrent, puis il y a plein de gens qui… quand tu as 15 000 piastres, tu penses que tu es riche et tu les dépenses. Est-ce que tu as une idée d’où ça vient ?

    JML : C’est toujours la réserve de dire au cas pour un imprévu. Même dans mon entreprise, tu as toujours un plan B, un plan C. Des fois, tu joues serré dans une entreprise. On va pouvoir en parler là.

    JB : C’est peut-être un côté que tu as, la prudence.

    JML : Oui, prudence, que tu aies toujours une protection. Dans la vraie vie, aujourd’hui, ce n’est pas dépendre des banques. Ce n’est pas la banque qui va décider ce qui se passe dans mon entreprise. Tu as toujours une protection financière.

    JB : Après, tu t’es lancé en affaire avec ton père.

    JML : Oui, en 86.

    JB : En 86. Est-ce que tu as été sur le marché du travail après avoir gradué ou tu as eu ton diplôme, puis ?

    JML : Moi j’ai eu mon diplôme, je voulais être journaliste.

    JB : OK.

    JML : Tu comprends ce que c’est, Julien. Je voulais être journaliste.

    JB : Ton père avait été journaliste ?

    JML : Mon père a été journaliste, avant aussi. C’est un travail qu’il a fait. Moi je voulais être journaliste quand je sortais de l’Université, puis j’ai appliqué.

    JB : Où ?

    JML : J’ai appliqué à TQS pour être journaliste télé. J’aimais mieux la télé. Je trouvais que ça communiquait plus facilement avec des gens. J’ai appliqué à TQS à l’époque. Ils embauchaient des journalistes avec la caméra à l’épaule qui faisaient et la caméra et le son. J’ai appliqué et j’ai été refusé. C’est la seule fois de ma vie où j’ai été refusé. J’étais assez insulté qu’ils ne comprenaient pas un petit jeune ambitieux, qu’ils ne comprenaient pas que moi, la télé, c’est normal, puis que j’aurais aimé, j’aurais performé là-dedans. Puis, le jour où ils ont refusé, la semaine suivante, je me suis retourné vers mon père, je lui dis : « Regarde, on crée notre propre entreprise ». Le fait qu’ils m’aient refusé, c’était la plus belle décision de ma vie parce que là, j’ai créé mon entreprise avec mon père. C’est la raison pour laquelle Léger existe aujourd’hui. Ce n’était pas un plan d’affaires faramineux. C’était de travailler avec mon père. On a travaillé ensemble pour créer l’entreprise, 50/50, puis on a lancé l’entreprise, mon père est mort en 93, 7 ans plus tard.

    JB : OK. C’était quoi les circonstances? Est-ce qu’il se cherchait une deuxième carrière ?

    JML : Il avait perdu les élections de 85. Le PQ s’était fait mettre à la porte. Il était dans plusieurs organismes. Quand tu es péquiste, ce n’est pas facile de se trouver un travail.

    Lui, il était directeur général d’Amnistie internationale, il était dans 14 fondations qui redonnaient à la société. C’est là que j’ai dit : « Regarde, ça vaut peut-être la peine pour une fois que tu reviennes refaire de l’argent ». Puis là, on est parti dans l’entreprise ensemble.

    JB : C’était quoi le particulier quand on s’associait avec quelqu’un ? C’était qui apportait quoi ?

    JML : S’associer avec son père, c’est particulier parce qu’au bout d’un an, j’avais l’impression que c’était moi le père et lui le fils. Mon père était plus délinquant que moi. Quand on a géré l’entreprise, moi je savais c’était quoi la valeur de l’argent, mon père dès qu’il y avait de l’argent, il dépensait. On avait deux styles différents. Mon père était là pour régler les problèmes. Sans mon père, je n’aurais jamais eu l’entreprise parce que les problèmes compliqués, c’est lui qui les réglait, avec les gouvernements, les taxations, avec les employés.Quand tu gères, tu n’as pas toutes ces expériences. Ça s’apprend, il m’a enseigné ça. Il a disparu en 93, puis c’est là que j’ai changé le nom de Léger & Léger en Léger Marketing. Qui j’étais davantage, c’est plus quelqu’un du marketing.

    JB : J’imagine qu’au début, ton père était un ancien ministre péquiste, puis vous êtes connu pour vos sondages politiques, mais c’est pratiquement un petit pourcentage. D’ailleurs, je serai curieux : c’est quoi le pourcentage des sondages politiques ?

    JML : Pour ceux qui nous écoutent, la politique, c’est 1 % de notre chiffre d’affaires et je dis souvent que c’est 99 % de mes troubles. Parce que quand je dis que la CAQ est en balance, les péquistes me traitent de traître. Puis c’est mes associés, alors, je me suis fait traiter de traître en disant que Legault était pour gagner l’élection ou quand tu dis que Trudeau va gagner au fédéral, les conservateurs étaient… À chaque fois, quand tu fais des sondages politiques, tu te fais haïr par tout le monde. Mais c’est 1 % du chiffre d’affaires.

    JB : Au début, comme il avait été en politique pendant longtemps, d’avoir des contacts avec des sondeurs de partis, est-ce que c’était ça ou pas du tout ?

    JML : Au début, l’affaire, c’est que mon père, c’est pour ça qu’on s’est appelés Léger. Parce que mon père était connu et aimé de tous les partis politiques. Il a fait de la politique et nous, on n’a pas le droit à l’erreur. On aurait pu s’appeler un nom obscur que personne ne sait, pour ne pas nommer un autre concurrent, tu ne sais jamais qui est derrière. Nous autres, c’est Léger. On sait, mon père a des convictions. Moi, mon job, c’est de dire la vérité. Étant donné ce choix, on n’avait pas le droit à l’erreur. On a toujours été les plus précis à cause de ça. Il y a des eu des élections plus faciles ou plus difficiles, mais c’est à cause de ça.

    JB : Mais les premiers gros contrats, est-ce que c’était le Parti Québécois ?

    JML : C’était la FAECUM. L’Association des Étudiants de l’Université de Montréal. Il m’a donné mon premier mandat.

    JB : C’était combien ?

    JML : 10 000 $. C’était beaucoup. On a créé ça en août 86; c’est là où j’ai eu mon premier mandat. Mon deuxième mandat s’est retrouvé en novembre 86, donc, trois mois plus tard.

    Puis chaque fois qu’on avait un mandat, on achetait quelque chose. On achetait un meuble, on achetait un photocopieur. On n’a jamais emprunté de crédit d’entreprise. On a mis 300 $ chacun dans l’entreprise. On avait 600 $ dans l’entreprise. On ne se prenait aucun salaire. Notre salaire était lié aux mandats. Moi j’avais 5 %. Je faisais un mandat, je faisais 5 %, mon père avait 5 %, puis le statisticien qui était chez nous avait 5 %. C’est comme ça qu’on a bâti, c’est de ne jamais avoir de dettes. Ça c’est la plus grande valeur, de ne pas s’endetter. Plus tard, j’ai fait des acquisitions avec des dettes plus contrôlées, mais ça, ça a été quelque chose. L’argent au départ, il n’y en avait pas beaucoup.

    JB : Au début, est-ce qu’il y avait juste vous deux ?

    JML : Tu sais que c’est la première fois, je n’ai jamais dit ça à personne, ce que je te raconte là. Le monde ne sait pas ce bout-là. Aujourd’hui, tu vois l’entreprise, c’est multimillionnaire, c’est parfait. Mais dans la vraie vie, moi j’ai commencé avec un téléphone, un bureau, pas de paye. Mais j’aimais ça ce que je faisais.

    JB : Est-ce qu’au début il y avait juste deux personnes ou est-ce que tu faisais les appels ?

    JML : Tout. J’avais embauché des intervieweurs, des dames qui étaient bonnes intervieweuses, qui faisaient ça et que je payais au travail.

    JB : En as-tu fait carrément des téléphones, des appels ?

    JML : Tout. Tout, tout. Faire les téléphones, faire des appels téléphoniques. On appelait, mettons, le deuxième mandat dont je te parlais, c’était à Sherbrooke pour la Mairie de Sherbrooke. On s’est répartis en équipe de 10, on passait à Sherbrooke, on faisait des appels toute la soirée à Sherbrooke parce qu’en longue distance, ça coûtait cher. Il fallait se déplacer sur place. On allait à Sherbrooke, on faisait les appels à Sherbrooke, puis on analysait les résultats. C’est comme ça et les mandats sont arrivés petit à petit comme ça.

    JB : Souvent, dans une entreprise, c’est le premier employé qu’on paye, c’est comme une étape. Est-ce qu’il y a eu une étape comme ça ?

    JML : Le premier, ça a été mon statisticien dont j’avais besoin. C’était mon confrère de l’université. Il a fini sa maîtrise en économie. Il est encore ici aujourd’hui. D’ailleurs, cette année, il prend sa retraite. Il est encore ici depuis le temps, il m’a accompagné toutes ces années. À l’époque, il était payé 5 % comme moi.

    JB : OK.

    JML : Il y a des semaines, je me rappelle…

    JB : Est-ce que c’est quelqu’un qui est actionnaire ?

    JML : Non, non. Il n’était pas actionnaire, il était employé. On avait 3-4 semaines, pas de salaire. Du coup on avait un chèque et, hop, on était content. Mon premier chèque, c’était 50 $. Ma première paye, c’est 50 $.

    JB : Aujourd’hui, est-ce que tu contrôles la compagnie à 100 % ?

    JML : Pas à 100 %, à plus de 50 %. J’ai donné des actions à des VP, puis j’ai le Fonds de solidarité FTQ. Le Fonds de solidarité qui est actionnaire, c’est un actionnaire extraordinaire.

    On pourra en reparler plus tard. C’est eux autres qui m’ont permis d’aller beaucoup plus loin.

    JB : OK. C’était quelle année leur investissement ?

    JML : Le Fonds de solidarité, c’était en 2000. En 2000, quand on a fait notre première acquisition. C’était un moment important de l’entreprise.

    JB : Une des choses… l’entreprise a évolué sur le plan géographique. Quand est-ce que tu as sauté, que tu t’es dit : « On va en dehors du Québec ». Au début, ce que tu me disais, c’est que tu planchais sur la notoriété de ton père, puis là tu es rendu connu toi même. Quand tu t’en vas, je pense que tu étais à Philadelphie aussi ou à Toronto. «Léger», ce n’est pas un nom qui fait tomber les gens de leurs chaises là-bas.

    JML : C’est différent. Aux États-Unis, notre notoriété, c’est zéro. Léger, c’est «Le-gueu». Ils ne sont même pas capables de prononcer le nom. Mais à l’époque, on avait un bureau à Montréal. On a eu ensuite des employés qu’on a embauchés. On avait une dizaine d’employés à Montréal à temps plein. On était dans un sous-sol dans l’Est de Montréal.

    On a déménagé ensuite dans Anjou avant de déménager ici dans le centre-ville de Montréal. Et là, on a ouvert un bureau au Québec. Ce qui avait été fantastique au Québec, c’était en 89, aux alentours de 89, c’était Robert Bourassa. Étant donné que mon père était un ministre péquiste, Robert Bourassa était un ami de la famille. On a fait la grosse ouverture à Québec et Robert Bourassa est venu faire le discours officiel pour dire comment on était bon et précis. Ça, ça nous avait aidés beaucoup. Bourassa nous avait aidés beaucoup à l’époque. Tu avais tout le Conseil des ministres qui était à Québec qui était venu pour l’ouverture des bureaux à Québec. C’était la première fois qu’on sortait de Montréal et qu’on avait un deuxième bureau à gérer. C’était la première étape.

    JB : À cette époque-là, j’imagine que tu te payais un salaire ?

    JML : Je payais un salaire, mais ce n’était pas des salaires élevés.Même aujourd’hui, j’ai un salaire, mais ce n’est pas là. C’est plus la valeur de l’entreprise qui monte.

    JB : Est-ce que tu as déjà pris des dividendes ?

    JML : Zéro.

    JB : Jamais ?

    JML : J’ai des bonifications quand j’atteins des choses extraordinaires, mais la dividende, je ne l’ai pas pris parce que j’ai voulu toujours réinvestir dans l’entreprise. Au lieu d’emprunter, tu réinvestis, tu réinvestis, et c’est là que j’ai créé de la valeur parce que cette entreprise n’a pas été vampirisée. J’avais un de mes concurrents, Surveycom. À l’époque, quand je suis arrivé, c’était lui qui était le numéro 1. Le président, il vampirisait toujours l’entreprise. 3-4 ans après, elle est tombée. Tu ne peux pas sortir trop d’argent. Ton entreprise a besoin de vivre.

    JB : J’imagine qu’avec le succès et avec le temps, est-ce que tu as un conseiller financier ?

    JML : Oui, oui. 

    JB : Lui, il ne t’a pas dit : « Tes 100 %, ton portefeuille, il est exposé à un risque systémique, qui est celui de ton entreprise » ?

    JML : Mais là ce qui se passe, dans l’évolution de l’entreprise, ensuite de tout ça, on a fait tout ça, des mandats en Afrique, des mandats dans toute la francophonie, puis là est arrivé le moment, l’année 2000 qui est l’acquisition que j’ai faite. J’ai fait une acquisition à Toronto. J’ai fait ça avec le Fonds de solidarité, c’est eux qui ont investi. C’est là qu’ils m’ont permis d’aller plus loin, de prendre le risque. Sauf que là, tout ce qu’il ne fallait pas faire dans une acquisition, je l’ai fait. J’ai fait ce qu’il ne faut pas faire. J’en ai fait 10 depuis, mais au départ, les erreurs de ne pas savoir pourquoi j’achetais, le partenaire qui était là, c’était un partenaire, j’avais réussi à convaincre quelqu’un, mais ce n’était pas le bon partenaire.

    Ce qu’il m’a promis, il ne le livrait pas, tellement qu’à un moment donné, je l’ai appelé, je lui dis : « Écoutes, le plan tu ne livres pas ». Il me répond : « Oui, mais le merge qu’on a fait, c’est profitable pour les deux ». Je dis : « Le merge ? La fusion qu’on a faite ? Je t’ai acheté, je t’ai payé en argent. Ce n’est pas une fusion ». « Oui, mais sans moi, tu ne serais pas à Toronto ». Je lui dis : « Regardes, je vais t’expliquer ça, je te mets à la porte. Je n’ai plus besoin de toi, ça n’a pas de bon sens. Je m’en vais à Toronto.Dans 4 heures, je serai au bureau de Toronto, il faut que tu sois parti ». Et là, j’ai pris le contrôle du bureau de Toronto.

    Ce n’est pas facile pour un Québécois francophone d’acheter à Toronto. Ce n’est pas toujours facile, c’est l’inverse qui se passe. Moi j’ai acheté à Toronto, mais il a fallu que je m’impose.On est Toronto depuis le temps, mais on a pris de l’envergure. On est très connus à Toronto aussi. On est numéro 1 en Alberta, nous Léger. Les gens ne le savent pas, mais à l’Ouest canadien, je suis numéro 1.

    JB : Tu ouvres un peu la porte où les Québécois qui ont l’impression d’être nés pour un petit pain. Puis la perception des Canadiens envers nous. Je sais que tu as écrit un livre qui s’appelle Code Québec que je recommande à tout le monde.

    JML : Quel plaisir de l’écrire et vous aurez le plaisir de le lire aussi, vous allez voir. Vous voulez comprendre la différence, puis sur l’argent, on a un chapitre aussi.

    JB : Et justement, ça m’amène à cette question. C’est quoi ce bagage où on a l’impression que c’est moins naturel pour une compagnie du Québec d’acheter à Toronto. Peux-tu nous parler un peu de ce sujet ?

    JML : Oui. Le premier élément, c’est que le Canada, ce n’est pas Toronto. Ce qu’on n’aime pas, c’est ceux qui sont à Toronto, parce qu’il y a une condescendance. Mais tout le monde au Canada haït Toronto. Quand je suis à Edmonton, ils haïssent Toronto à mourir. Quand j’étais à Halifax, ils haïssent Toronto à mourir. Tout le monde a un conflit avec Toronto.

    Souvent nous, comme Québécois, on dit que ce sont les Canadiens anglais qui nous aiment pas. Non, non, c’est Toronto qui est le problème, parce que Toronto se pense le centre du monde. Quand tu négocies avec eux, tu ne négocies pas d’égal à égal. C’est ça qui est difficile à Toronto, pour faire des affaires. Alors qu’un Québécois qui fait des affaires dans l’Ouest, il est bienvenu.

    Du moment que ton produit est bon, bienvenu. Moi, j’ai eu une expansion pancanadienne facile. Le plus difficile, c’est le cœur de la bête, c’est Toronto. Parce qu’à Toronto, il y a aussi le fait que c’est multiethnique. Une personne sur deux qui vit actuellement à Toronto est née à l’extérieur du pays. Ce n’est pas des anglophones orangistes mange-Canayen, ce n’est pas ça Toronto. C’est que, le Québec, ça ne les intéresse pas. Tu as des Pakistanais, des Hindous, des gens qui viennent des pays de l’Europe de l’Est. Tu as un melting-pot d’une puissance, tu as toute une ville extraordinaire. Mais le Québec, ça n’existe pas pour eux autres. C’est comme la campagne pour eux autres. Ils ne sont jamais venus, ils ne nous parlent pas ici, alors, on vit dans deux mondes parallèles. Ça a des conséquences au niveau des différences de comportement et d’attitude. C’est là le livre le Code Québec. On a mesuré les 7 véritables différences et l’argent en est une fondamentale. Puis on a compris pourquoi, Julien.

    JB : J’aimerais vraiment savoir.

    JML : On a compris. On peut le mesurer de bien des manières, mais ça m’a pris 30 ans pour poser la bonne question. Quand on a trouvé, quand on a posé la bonne question, on a demandé aux Canadiens, Québécois inclus : Qu’est-ce qui est le plus important pour vous : vivre l’instant présent ou préparer l’avenir ? Un francophone, il vit l’instant présent. Trois quarts des francophones ont dit : « Non, moi je veux jouir de la vie ». Et jouir de la vie, c’est très québécois.Nous, c’est ici et maintenant. Le reste du Canada, particulièrement à Toronto, c’est préparer l’avenir. Eux autres, ils ont toujours un coup d’avance. Ils préparent toujours, donc préparer sa retraite, à Toronto, ils le font. Ici, on ne le fait pas.

    Quand un enfant naît à Toronto, la première préoccupation : je mets de l’argent de côté pour les études. Ici, c’est on verra quand ils seront rendus là. Nous, on vit vraiment l’instant présent et au niveau monétaire, ça a toujours été un problème ça. C’est-à-dire que nous, on a de l’argent, on le dépense ou on n’a pas d’argent, on en trouve. Eux autres, ils préparent. Par exemple: le don pour les oeuvres de bienfaisance. À Toronto, 80 % des gens savent en début d’année combien ils vont donner à un organisme de charité. Ici au Québec, il y a à peine 20 % qui savent. Quand ils vont m’achaler, ils vont donner. Ils ne préparent pas ça. On ne se prépare pas avec un budget. Donc, nous autres, l’argent, c’est quelque chose de beaucoup plus fluide.

    Et ça vient du vieux fond catholique. Quand tu vas à Toronto, c’est le vieux fond protestant.

    Protestant, c’est que si tu fais de l’argent, c’est du succès. Nous, on a un vieux fond catholique, que si tu fais de l’argent, tu devrais le distribuer. C’est deux mondes complètement.

    JB : Là on distribue moins.

    JML : On distribue moins, on donne moins. On ne distribue pas, c’est très théorique. Mais si quelqu’un est riche, la réaction québécoise c’est : « Ah bon, il a dû quelqu’un… Il a dû faire quelque chose de croche… »

    JB : Tu disais justement que dans ton livre, les Québécois avaient changé et la nouvelle génération n’était pas complexée par rapport à l’argent. J’étais curieux de te poser la question en personne, parce que j’ai l’impression que les mentalités évoluent, mais j’ai l’impression que cette espèce de perception très catholique où la spéculation est mauvaise, elle reste quand même et que même chez la nouvelle génération. Elle s’exprime peut-être de…

    JML : Non, dans le sondage, il y a vraiment une barrière 35 ans et moins, l’argent c’est important. La nouvelle statistique qu’on a vue, c’est qu’on a interrogé des gens. On a pris un sondage qui a été fait lorsque les baby-boomers avaient 20 ans. Est-ce que l’argent est important dans votre vie ? 35 % disent oui. La génération X, celle qui est entre les deux, qui ont entre 35 et 60 ans, sur cette génération X, c’est 45 % qui disaient oui. La jeune génération des milléniaux, les 35 ans et moins, c’est 65 % qui disent que l’argent est important dans la vie. Là, on compare des gens à l’âge de 20 ans.

    JB : Est-ce que c’est similaire au Canada anglais ?

    JML : Le Canada, c’est toujours un peu plus au Canada anglais, ça l’est encore. Mais là les gens, je vais parler d’argent, moi j’ai 400 employés. La moyenne d’âge est de 32 ans ici chez Léger. Discuter d’argent, tu n’as pas de problème. Je vaux ça, je paye ça, sinon je m’en vais. Quelqu’un qui a 50 ans : « Est-ce que c’est possible d’avoir une augmentation de salaire ? » Tu es vraiment dans deux mondes. Les gens connaissent la valeur de l’argent.

    La notion que l’argent c’est péché, ce n’est plus vrai au Québec. Ça veut dire que si les jeunes pensent ça, dans 20 ans, ça va être la majorité des Québécois qui vont penser ça.

    Si tu me permets, je vais donner ce qui est le fun, et ceux qui nous écoutent, ça peut intéresser. La tendance la plus forte au Québec, de tout ce que j’ai mesuré depuis 30 ans, la tendance la plus forte, c’est l’entrepreneuriat.

    JB : OK.

    JML : Il y a 10 ans, 7 % des Québécois voulaient se lancer en entreprise. On était dernier au Canada. Aujourd’hui, 21 % des Québécois veulent se lancer en entreprise. On est premier au Canada. Chez les jeunes, les millénaux, c’est 40 %. S’il y a des millénaux qui nous écoutent, 4 sur 10 veulent lancer leur entreprise.

    JB : Même plus, ça serait notre rêve.

    JML : Mais c’est ce que tu as fait toi aussi. C’est ça l’esprit, c’est ça qui vous branche, c’est ça que vous aimez. Mais ça, c’est la réalité québécoise. L’argent oui, mais tout l’entrepreneuriat, la réussite financière, ça, ça branche les gens.

    JB : Justement, j’ai fait un petit détour, mais justement le fait que tu n’as jamais sorti d’argent. Est-ce que c’est quelque chose qui t’inquiète ou est-ce que tu as acheté de l’immobilier? As-tu acheté un immeuble? Je ne suis pas sûr si c’est ton immeuble ici ou à l’entreprise ? Essayer de se diversifier un peu sur le plan personnel, est-ce que c’est quelque chose que tu as fait ?

    JML : Oui, mais à chaque fois que j’essayais de diversifier, ça ne marchait pas. Moi je suis bon dans une affaire. J’ai compris ça. Je suis bon là-dedans, c’est un métier que j’aime de dire tout haut ce que le peuple pense tout bas. C’est mon métier, je suis bon. Chaque fois que j’ai fait des choses extérieures, je n’ai jamais vraiment réussi. C’est pour ça que je garde cette ligne-là. On investit en technologie. On est bon dans la technologie, mais dans la recherche marketing et dans le sondage.

    JB : Je ne parlais de Léger marketing, je parlais de toi personnellement.

    JML : Même moi.

    JB : Est-ce que tu as diversifié un peu tes investissements ?

    JML : Non, non. Moi c’est très conservateur. C’est sûr que j’ai mes placements personnels qui sont diversifiés, mais ce n’est même pas moi. Ça m’ennuie. Mon portefeuille financier, c’est une banque qui gère et il y a quelqu’un qui est solide qui s’occupe de son affaire. Moi je ne regarderai pas comment c’est rendu chaque mois, car ça ne m’intéresse pas.

    JB : Est-ce tu fais un check-up annuel avec ton conseiller?

    JML : Oui, annuel. Une rencontre annuelle et il me dit que ça a augmenté de 8 %, je suis content. OK, c’est beau et on passe à autre chose. Moi ce que j’essaye, c’est d’investir ici au Québec, au Canada. Ça pour moi, c’est un des éléments importants. Investir dans des économies vertes, dans des entreprises vertes. J’ai certaines balises que je lui donne, mais à part ça, le reste…Non, moi ce qui m’intéresse au niveau de l’argent, c’est plus l’entreprise. C’est plus jusqu’où je peux la rendre. Pour avancer, j’ai besoin d’argent. Il faut que la compagnie soit rentable, il faut que j’aie du financement, il faut que je livre mes résultats.

    Ça, cette partie-là monétaire m’intéresse. Ma fortune personnelle moins. J’ai de l’argent. Mais ça ne m’intéresse pas beaucoup.

    JB : Ça m’amène à une autre question. On s’était parlé il y a longtemps quand j’étais journaliste, je t’avais posé la question si tu allais faire un IPO éventuellement. Ta réponse à l’époque, c’est que ça faisait partie des plans. Est-ce que c’est toujours le cas ?

    JML : Oui, c’est toujours le cas. Ça fait plus de 5 ans que j’ai ce même plan. Moi à l’IPO, j’ai besoin de masse critique. Ce que je veux atteindre, c’est un minimum de 50 millions de chiffre d’affaires. Je suis à un peu plus de 30 millions aujourd’hui. J’avance, mais je n’ai pas encore 50 millions. Je suis en train de faire des acquisitions là, peut-être que je vais me rendre là bientôt. Ensuite, c’est d’avoir une profitabilité forte, ça je l’ai, et d’avoir une invention technologique qui excite le marché. Là, on l’a l’invention. Il faut juste la mettre en marche bientôt. C’est toutes les conditions.

    JB : C’est un secret ?

    JML : Oui, c’est sûr. Conditions gagnantes, puis je rajoute un élément, c’est un succès américain. Là, nous, si je vais en Bourse, je ne vais pas m’inscrire à la Bourse de Toronto. Moi, je veux aller à la Bourse de New York. C’est la Bourse de New York si je vais en Bourse.

    JB : Pourquoi ?

    JML : Parce que je veux rentrer sur ce marché. C’est ce marché qui a le potentiel et c’est ce marché qui comprend la recherche marketing, la technologie qu’on est. À Toronto, j’ai toujours peur de la condescendance pour une entreprise québécoise. Je serais peut-être sous-évalué. Tu irais au New York Stock Exchange, au Nasdaq ? Oui, une des deux. Ça va dépendre de si la technologie prend suffisamment de place ou pas, mais ça a toujours été mon rêve d’aller là, mais tout le monde me dit de ne pas y aller.

    JB : Quand tu t’imagines, est-ce que tu t’es visualisé en train de sonner la cloche ?

    JML : J’ai déjà sonné la cloche pour d’autres.

    JB : Pour vrai ?

    JML : Oui, oui. C’était les HEC qui m’avaient invité. C’était pour une entrevue pour les HEC: on avait été sonner la cloche avec Jacques Nantel et l’équipe. J’ai eu le feeling de rentrer sur le parquet de New York, sonner la cloche et tout ça, c’était fantastique. Puis tous les événements autour. Non, j’aimerais ça me rendre jusque-là, mais ça prend ça. Ça prend ces éléments-là.

    Autrement dit, j’essaye de créer les conditions gagnantes pour y aller.  Par contre, tous mes conseillers me disent de ne pas y aller. C’est trop compliqué, ça coûte trop cher, pourquoi te limiter, tu peux aller du financement dans le privé. Je sais que le marché n’est pas nécessairement favorable, parce que c’est compliqué d’aller en Bourse, puis tu es limité. Les gens de Cossette, qui est une firme de pub, l’erreur qu’ils ont faite c’est qu’ils sont allés sur le marché boursier, ça a ralenti. Il y a quelqu’un qui m’avait dit, un VP : « Avant on s’occupait des clients, maintenant, il faut s’occuper des investisseurs ». Dans le sens qu’ils te vampirisent complètement. Mais quand même, c’est un défi.

    En tant qu’homme d’affaires, le défi, ce n’est pas nécessairement monétaire à un certain moment donné. C’est : suis-je capable de me rendre jusque-là ?

    JB: C’est intéressant parce que tu as un parcours traditionnel. Tu vas chercher du capital de risque, puis du private equity, en général le jour où tu t’inscris en Bourse, ce n’est pas vraiment pour aller chercher du cash, c’est pour permettre aux gens qui ont eu de l’argent de le sortir.

    JML : Oui.

    JB : Et des fois, c’est même les fondateurs eux-mêmes qui veulent sortir. La plupart des IPO, si on les analyse, c’est peu un appel à l’épargne du public pour bâtir quelque chose d’autre, même si en général, c’est la norme d’aller chercher un peu plus d’argent pour la compagnie…

    JML : Moi, je suis un nationaliste. J’ai une entreprise québécoise. On est capable d’être le meilleur dans le monde. Je l’ai prouvé au Canada. Je suis la plus importante à propriété canadienne. Il y en a une qui est française, qui est IPSOS, qui est plus gros que moi encore au Canada, mais elle est à propriété étrangère. Moi je suis la plus importante à propriété canadienne. J’ai réussi ça. Je suis rendu aux États-Unis. Je suis capable, mais je ne suis pas encore assez performant aux États-Unis. J’ai été président de la plus grande association de sondeurs au monde, qui s’appelle WINMR, une association qui comprend 75 pays. J’ai été président de l’association pendant 7 ans pour voir comment ça se passait ailleurs. Puis la technologie, l’expertise québécoise, ça s’exporte. C’est difficile de rendre ça rentable seulement au Québec. Mais quand tu as réussi à faire ça, après, tu es prêt pour le marché étranger. Alors, si je fais un IPO, c’est pour aller plus loin et c’est pour faire des acquisitions et aller plus loin.

    JB : Ce n’est pas pour vendre la moitié de tes actions et t’acheter un bateau ?

    JML : Non, mais je vais le faire, je vais en vendre un peu pareil, parce qu’il faut que je me protège. Il faut qu’il y ait une rentabilité, il faut que je n’aie pas cette préoccupation-là.

    JB : Mais le but principal, ce serait pour aller chercher des capitaux importants…

    JML : Pour des acquisitions importantes. Quand je vais arriver à IPO, je vais dire : « Regarde, je vais acheter cette entreprise-là. Elle coûte 200 millions de dollars et j’ai besoin du marché pour ça ». C’est plus pour ça. Quand tu crées, tu ne sais pas si je vais être capable de me rendre jusqu’au bout, mais je vais créer les conditions gagnantes. pour quand ils vont être là, je vais essayer de faire le saut.

    JB : Ça ressemblerait à quoi le succès pour toi ? La vision de Léger Marketing ?

    JML : La vraie, à l’intérieur, c’est que si je réussissais de faire un IPO…

    JB : Ce n’est pas public, tu peux dire ce que tu veux.

    JML : C’est tous ceux qui m’ont accompagné au fil des années, d’être capable de tous les amener ensemble et de partager la richesse de l’entreprise. Moi plus, parce que j’ai risqué plus. Mais que les gens qui m’ont accompagné, je le dis souvent et c’est ce que j’appelle les personnes-clés dans l’organisation.

    JB : Est-ce que tu as un pool d’options pour tes employés ou c’est des actions ?

    JML : C’est-à-dire que ce que j’ai fait, c’est que les VP, je leur ai donné des actions. Donc toute ma structure de base, mes VP qui sont une dizaine, je leur ai donné des actions. Mais j’ai une deuxième structure, on a créé ici ce qu’on appelle un Profit Sharing Program, un programme de partage des profits. À tous les 3 mois, je présente les états financiers à tous mes employés. Je leur dis : « Si on atteint un tel niveau de profit, tout ce qui est au-dessus vous appartient ». En faisant ça, je les éduque financièrement. La secrétaire qui est en bas, elle se demande le nombre de crayons qu’elle a achetés ou le nombre de papiers qu’elle a achetés et elle fait attention parce qu’elle veut être sûre d’avoir son PSP, son Profit Sharing Program à la fin. Ça crée une culture financière, puis nous, on est très transparents : « Voici ce qu’on a ». Quand ça va bien, on le dit, quand ça va mal, on le dit. Mais avec ça, j’ai créé un bel esprit d’équipe. Mais ce que j’aimerais me rendre, c’est l’étape suivante, c’est-à-dire donner des options aux employés, aller à la Bourse et partager.

    Le plus beau moment de l’entreprise, c’est de dire : « Regardez, je vous distribue les chèques ». Mais c’est un job entre aujourd’hui et se rendre jusque-là.

    JB : Ce que je me demande en termes d’acquisition, en termes de taille, est-ce que tu t’imagines être une multinationale ?

    JML : Oui, mais je trouve que le marché a changé. Dans mon métier, tu n’as plus besoin, pour faire un sondage au Japon aujourd’hui, je le fais d’ici. J’ai des amis au Japon… Tu n’as plus besoin d’être partout dans le monde. Avant, c’était un modèle d’affaires. Il y a mes gros concurrents qui m’ont dit : « On a 80 bureaux dans 80 pays ». Aujourd’hui, on n’a plus besoin de ça. Idéalement, c’est une entreprise par continent.

    JB : OK.

    JML : Tu as 5 bureaux, un par continent. Ça peut-être. Mais dans un premier temps, c’est l’Amérique du Nord. On a 325 millions d’Américains qui sont juste à côté. C’est le plus gros marché au monde.

    JB : C’est quoi la taille du marché de la recherche marketing et ses sondages?

    JML : Aujourd’hui, ça a changé parce que le marché de la recherche marketing, c’est 40 milliards. C’est quand même pas mal.

    JB : À l’échelle mondiale ?

    JML : Oui, à l’échelle mondiale. C’est quand même beaucoup. Mais là, tu comprends c’est un marché quand même qui est énorme. Il y a un potentiel énorme dans ce marché. Le problème, c’est qu’il change. L’argent est toujours là, mais il change de main. Au départ, c’était les firmes traditionnelles. Aujourd’hui, tu te retrouves avec des firmes technologiques qui font des communautés en ligne. Tu te retrouves avec des sondages qu’on appelle les VOC, Voice Of Customer en temps réel, des panels web, du analytics. Tu as toutes sortes de développement qui fait que ce marché-là est beaucoup plus grand qu’avant, mais c’est plus difficile d’aller le chercher. Ma concurrence est partout maintenant. J’ai des petites firmes comme SurveyMonkey qui est aux États-Unis.

    JB : Ce n’est pas si petit que ça.

    JML : C’était petit quand j’ai commencé et, aujourd’hui, c’est énorme. Mais elle, elle me concurrence, parce qu’elle donne des sondages gratuits. Moins de qualité, mais c’est là pareil. La concurrence est partout.

    JB : Tu penses que tu pourrais réaliser combien de chiffre d’affaires ?

    JML : C’est difficile, c’est difficile de le voir. C’est comment être réaliste là-dedans. Pour moi, ce n’est pas en fonction d’un chiffre, c’est de dire jusqu’où je peux me rendre. Là, on a fait 10 acquisitions. Là, au moment où on se parle, on est en train de faire des acquisitions et si je réussis avec ça, je vais doubler rapidement mon chiffre d’affaires, à partir de là, à partir du moment où tu atteins les 50 millions dont je te parlais tantôt, tu as la masse critique qui te permet d’aller beaucoup plus vite. Le plus dur, c’est de se rendre jusque-là.

    JB : Quand tu vas faire un IPO, c’est sûr qu’au début tu ne vends pas, puis à un moment donné, tu commences à vendre juste pour diversifier ton risque, qu’est-ce que tu ferais avec l’argent que tu vas obtenir ? Parce que les gens pensent que les gens qui dirigent les grosses business sont riches, puis corrige-moi si tu nages dans l’argent, mais souvent, les fondateurs se retrouvent à ne pas avoir de liquidité, puis peut-être que tu ne pourrais pas t’acheter un bateau, dépendamment de la taille…

    JML : Tu mets assez de liquidité pour te protéger, pour ne pas être dépendant. C’est comme mon père, qui était en politique, en sortant de la politique, il s’est retrouvé devant rien. Moi j’ai choisi un chemin différent, celui des affaires, parce que moi, je voulais être indépendant financièrement et la conséquence, c’est que je me suis protégé. Mais l’argent, rendu à un certain niveau, c’est pour te permettre de réaliser des choses. C’est ça l’élément. Si je vendais des actions, ce serait pour réaliser des choses. Ce que j’aimerais, c’est aider des jeunes start-ups. Comment je peux aider d’autres à aller plus loin. C’est plus ça.

    JB : Il n’y aurait pas d’achat que tu ferais ?

    JML : Non, ça c’est mineur. Ce n’est pas mon grand intérêt. Moi je suis bien avec ce qu’on a. À un moment donné, tu ne peux pas manger 10 steaks par jour. D’ailleurs, je ne mange plus de steak.

    JB : Tu es végétarien ?

    JML : Non, pas totalement, mais j’essaye. J’essaye, mais c’est difficile.

    JB : Une autre question, tes frères et sœurs ont pris des parcours différents ? Tu as une sœur qui est en politique. Est-ce qu’il y a de la jalousie parce que j’imagine que tu as plus réussi financièrement ou du moins sur le papier ? Est-ce que ça crée des tensions en famille ?

    JML : Non, chez nous, il n’y a pas de tension dans la famille. On est 5 enfants et j’ai 4 sœurs qui sont plus vieilles que moi, toutes plus veilles que moi.

    JB : Tu n’as pas de frère ?

    JML : Non, je n’ai pas de frère. J’ai 4 sœurs qui sont plus vieilles que moi et c’est sûr que je les aide. Je les aide d’une manière ou d’une autre. Mais il y en a deux, même trois, qui ont travaillé chez moi, ici chez Léger. Il y en a une qui a bâti Léger avec moi. J’ai racheté ses actions, alors, elle est devenue indépendante financièrement. La deuxième, la même chose, j’ai racheté ses actions.

    JB : OK.

    JML : Au décès de mon père, il y avait un certain nombre d’actions à mes sœurs et à moi et je les ai rachetées au fur et à mesure. Je les ai rendu indépendantes l’une après l’autre.

    JB : Peut-être que tu as des sœurs qui ont plus d’argent que toi ?

    JML : Non, je ne pense pas. Mais elles sont protégées financièrement.

    JB : J’aimerais terminer en te posant une question. Tu avais l’air assez précoce en termes de gestion de tes finances personnelles, mais si tu pouvais te passer un message au jeune Jean-Marc Léger qui a 20 ans par rapport à l’argent, qu’est-ce que tu lui dirais si tu pouvais revenir dans le passé ?

    JML : C’est de s’entourer de gens compétents. Moi, un des moments-clés, c’est quand le Fonds de solidarité est arrivé, ils m’ont imposé un CFO. On était en 2000, l’arrivée de ce CFO a changé les choses. Tu as une connaissance, mais ça prend des vrais pros, soit des mentors ou des gens qui t’accompagnent. La clé d’une entreprise, si je devais recommencer, c’est de m’entourer des bonnes personnes rapidement. Aujourd’hui, on l’a après un certain nombre d’années, tu as trouvé des gens. Mais la clé, c’est ton noyau. Ça t’en prend un financier, ça t’en prend un opérationnel, ça te complète, car moi je suis plus un entrepreneur. Tu as besoin de créer ce trio de tête, c’est ça qui est la source. Quand on regarde mon parcours, c’est le fun, c’est beau, j’ai fait plein de choses, mais dans la vie, j’ai des échecs aussi. J’ai acheté une entreprise en Suisse: il a fallu que je la ferme parce que c’était la catastrophe. J’ai perdu plus d’un million, 1.5 million là-bas en Suisse. Il y a des échecs, mais une chose, il y a un message dans l’affaire que j’ai appris : en affaire, tu ne perds jamais. Soit tu gagnes, soit tu apprends. Et j’ai appris aussi beaucoup.

    JB : Merci beaucoup pour ton temps Jean-Marc, c’est super apprécié.

    JML : Ça me fait plaisir. Si on peut partager à d’autres pour qu’ils puissent se servir de ces expériences-là pour réussir dans leurs propres affaires, comment gérer l’argent, comment réussir en affaires, il y a quelques bonnes idées là-dedans.

    JB : Merci.

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    Julien a co-fondé Hardbacon pour aider les Canadiens à prendre de meilleures décisions en matière d’investissement. Depuis, il a levé plus de trois millions de dollars et conclu des partenariats stratégiques avec des institutions financières de partout au pays. Avant de lancer Hardbacon, Julien a partagé sa passion pour les finances personnelles et la Bourse en tant que journaliste économique pour Les Affaires. Il a aussi passé le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) et, au fil des ans, a collaboré à différents médias incluant Radio-Canada, LCN et Urbania.