La loi 141, ou pourquoi vos frais de condo ont augmenté drastiquement dernièrement
Par Maude Gauthier | Publié le 30 juil. 2024
Vos frais de copropriété ont doublé ou triplé au fil des dernières années? Ne vous inquiétez pas, vous n’avez pas la berlue! Aussi désagréable que cela puisse être, c’est pour votre bien. Vous êtes loin d’être seul dans votre situation. Suite à l’entrée en vigueur de modifications légales, plusieurs conseils d’administration de copropriétés divises ont exigé des frais de condo plus élevés de la part des copropriétaires.
Qu’est-ce que la loi 141 sur les condos?
Les copropriétés poussent comme des petits champignons depuis plusieurs années. Avant 2020, la gestion des copropriétés ressemblait au « far west ». Certains copropriétaires payaient si peu de frais de condo qu’on les imaginait mal faire face à une réparation majeure. Le parc immobilier de copropriétés divises commence toutefois à vieillir et il ne serait pas mauvais d’avoir de l’argent de côté.
Adoptée en 2018, la loi 141 a introduit plusieurs changements au Code civil du Québec, qui sont entrés en vigueur progressivement jusqu’à aujourd’hui. Ils vous concernent en tant que copropriétaire ou comme administrateur de votre syndicat de copropriété (la personne morale regroupant tous les copropriétaires).
Valeur à neuf des copropriétés
S’il fallait tout reconstruire le bâtiment de votre copropriété demain matin, seriez-vous prêt? Auparavant, plusieurs syndicats de copropriété n’étaient pas prêts du tout à faire face à un sinistre majeur. Maintenant, la loi 141 impose au syndicat de souscrire une assurance couvrant la valeur à neuf de l’immeuble. C’est l’équivalent de sa valeur de reconstruction. On parle donc d’une somme considérable! Lors de votre prochaine assemblée annuelle des copropriétaires, informez-vous de ce montant auprès du conseil d’administration de votre syndicat.
Comment établir la valeur à neuf d’un immeuble? Combien vous coûterait la reconstruction, en 2024, d’une copropriété bâtie il y a dix ans? La loi prévoit le coup! Pour établir ce montant, les administrateurs doivent faire évaluer le bâtiment au moins une fois tous les 5 ans. Cette évaluation doit être réalisée par un membre en règle de l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec (OEAQ).
Trouver un évaluateur agréé
Pour obtenir la juste valeur à neuf de votre immeuble, seul un professionnel répondra à vos besoins. Vous ne pouvez pas simplement vous fier au rôle d’évaluation municipale pour estimer la valeur d’une propriété. Celui-ci reflète rarement la valeur de construction. Il ne sert qu’à des fins de taxation.
Votre évaluation n’est pas encore réalisée? C’est parce que la demande surpasse la capacité du marché. En effet, les évaluateurs capables de réaliser ce type de mandat sont débordés depuis l’entrée en vigueur de la loi 141. Dans l’attente de trouver cette perle rare, les administrateurs de votre copropriété doivent faire preuve de diligence. Par exemple, ils doivent s’assurer d’avoir suffisamment de fonds en cas de sinistre. Il serait donc peut-être plus sage d’augmenter l’assurance condo du syndicat pour être certain de couvrir une reconstruction.
Lorsque vous trouverez votre évaluateur, profitez-en pour lui demander s’il peut vous aider avec le carnet d’entretien de l’immeuble pour déterminer les travaux majeurs à réaliser. Ce même expert peut normalement analyser votre fonds de prévoyance prévu pour ces travaux. C’est une exigence du projet de loi 16.
Les rénovations de votre unité de condo
Le syndicat de copropriété doit colliger une description des parties privatives, c’est-à-dire des unités individuelles de condo. Cette description précise permet d’identifier les améliorations apportées par les copropriétaires. Par exemple, supposons que vous et vos voisins immédiats avez tous un condo construit selon le même modèle. À l’origine, il y avait du plancher flottant et un comptoir en mélamine. Lorsque vous avez emménagé, vous avez décidé de changer le plancher pour du bois franc et le comptoir pour du quartz. Vos voisins n’ont apporté aucun changement. Qui paye quoi en cas de sinistre?
Ce qu’il faut savoir, c’est que l’assurance du syndicat couvre certains travaux alors que votre assurance condo individuelle en couvre d’autres. Par exemple, en cas de sinistre causé par l’eau, votre assurance personnelle devrait payer pour la différence entre le plancher d’origine (flottant) et l’amélioration que vous avez faite (bois franc). Bien entendu, il faut choisir une assurance individuelle qui répond à vos besoins, puisque les protections varient d’un contrat à l’autre. L’assurance du syndicat ne couvre que la valeur du couvre-sol pour une unité standard. Même chose pour votre comptoir en quartz, c’est votre assureur qui vous indemnisera pour cette amélioration, si vous êtes couvert.
Pourquoi exiger une description des parties privatives?
En ayant un registre des unités standards, le syndicat de copropriété se protège. Tous les copropriétaires sont davantage responsables de leur unité et il y a plus d’équité entre eux. En effet, pourquoi quelqu’un qui a conservé son condo tel quel couvrirait les frais d’une unité où tout a été rénové pour des matériaux plus luxueux?
En l’absence de description des parties privatives, l’assureur du syndicat de copropriété pourrait être obligé de vous indemniser pour les améliorations. Cela ferait monter la facture! Si beaucoup de rénovations ont été faites, le syndicat risque même manquer de fonds, avec un montant d’assurance insuffisant. Il peut sembler attrayant de remettre toute la responsabilité, et les factures, au syndicat de copropriété. Mais n’oubliez pas que le syndicat, c’est vous! Il est constitué de tous les copropriétaires et vous devrez faire des contributions supplémentaires s’il manque de fonds.
Les conséquences d’une insuffisance des montants d’assurance
Tous les copropriétaires se répartissent les charges communes. Si le montant d’assurance copropriété de l’immeuble est insuffisant ou la franchise trop élevée, les copropriétaires payent la balance. Cela signifie que même si votre unité n’est pas touchée par le sinistre et n’a aucun dommage, vous devez tout de même payer votre part! Notez toutefois que votre assurance individuelle peut vous offrir une protection pour les ce genre de cotisation. En général, vous devez aussi être assuré pour le type de sinistre à l’origine de la réclamation. Informez-vous auprès de votre assureur pour en obtenir les détails.
De plus, il est obligatoire que votre assurance individuelle inclut une protection en responsabilité civile. Celle-ci doit s’élever à au moins 1 000 000 $ pour un bâtiment de 12 unités ou moins, et au moins 2 000 000 $ pour 13 unités ou plus. Cela signifie que si vous êtes responsable d’un sinistre, par exemple avec votre vieille laveuse qui coule, vous aurez les fonds pour couvrir les dommages causés à vos voisins.
La loi 141 et le fonds d’autoassurance
Votre syndicat doit détenir un fonds d’autoassurance pour couvrir la franchise en cas de réclamation. Il fallait déjà avoir un fonds de prévoyance, soit de l’argent de côté pour réaliser des travaux d’entretien. Maintenant, il faut un deuxième fonds, distinct de l’argent utilisé pour les opérations courantes. Combien d’argent placer dans ce fonds? Un montant égal à la franchise la plus élevée parmi toutes les couvertures d’assurance souscrites par votre syndicat. Cela exclut généralement les franchises pour les tremblements de terre et les inondations. Par exemple, si la franchise de votre assurance copropriété est de 10 000 $, il doit y avoir cette somme dans votre fonds d’autoassurance. Lorsque le syndicat doit utiliser ce fonds, il dispose d’un à deux ans pour le renflouer, dépendant de la somme prélevée.
Si vous avez payé des frais de condo plus élevés ou une cotisation spéciale ces deux dernières années, vous savez maintenant mieux pourquoi! Cela devrait vous éviter d’avoir à cotiser de grosses sommes si votre syndicat avait à faire une réclamation prochainement. On croise les doigts, parce que tout dépend des protections souscrites et du sinistre en question!
L’assurance responsabilité du syndicat
Qu’arriverait-il si, en tant que membre du conseil d’administration de votre copropriété, vous faisiez une erreur? La plupart des administrateurs de syndicats de copropriété n’étant pas des administrateurs de métier, le législateur a jugé bon de les obliger à souscrire une assurance responsabilité. Avec la loi 141, tant le syndicat de copropriété, les membres de son conseil d’administration que le gérant, s’il y en a un, doivent être couverts par une assurance responsabilité envers les tiers. Ainsi, la responsabilité civile des personnes qui voient à administrer l’immeuble et au bon déroulement des assemblées est couverte. Vous pouvez souffler un peu! Les copropriétaires qui s’impliquent dans la gestion de leur immeuble sont ainsi beaucoup mieux protégés en cas d’erreur de leur part.
Les changements introduits au Code civil du Québec par la loi 141 favorisent une gestion plus saine des copropriétés. Personne n’aime voir ses frais de condo augmenter, mais c’est parfois un mal nécessaire!