6 choses que les immigrants suisses doivent savoir sur le système bancaire canadien
Par Olivier Armangau | Publié le 26 juil. 2023
Si le Canada et la Suisse ont en commun une structure fédérale et une culture francophone, les deux pays entretiennent également des relations économiques d’importance. La Suisse fait partie des dix plus importants investisseurs étrangers au Canada, et près de 40 000 Suisses vivent au pays.
Le système bancaire canadien a démontré sa robustesse durant la crise financière de 2008, ce qui lui a valu d’être considéré en 2016 par le World Economic Forum comme le pays, avec la Finlande, où les banques y sont les plus sûres. La robustesse du système bancaire helvétique, quant à elle, découle de la stabilité politique et financière séculaire qui ont conféré au pays un statut de valeur refuge.
Parce que les clientèles servies sont sensiblement différentes, une clientèle plutôt locale au Canada et plutôt internationale en Suisse, les offres bancaires diffèrent quelque peu. Voici donc six éléments qu’il est important de prendre en considération pour les immigrants suisses au Canada.
Une offre concentrée et deux types d’institutions financières
En Suisse, il y a différentes appellations pour qualifier une institution bancaire. On distinguera les Banques Cantonales (BCGE, BCV, etc.), les Grandes Banques (UBS, Crédit Suisse), les banques régionales et caisses d’épargne, les succursales de banques étrangères, et enfin les banquiers privés… Au total, il y a en Suisse pas moins de 243 établissements bancaires.
Le système bancaire canadien est quant à lui un peu plus concentré. Sur les 80 banques établies au Canada, 40 offrent des produits de base comme des comptes bancaires pour les opérations courantes, cartes de crédit, prêts, comptes épargne, investissements, mais l’essentiel de l’offre est concentré auprès de 5 grandes banques, les « Big Five », présentes partout au pays : Banque Scotia, TD, CIBC, RBC et BMO.
Viennent ensuite des banques un peu moins importantes en taille comme la Banque Nationale du Canada (BNC, à ne pas confondre avec la banque centrale du Canada qui s’appelle la Banque du Canada) et la Banque Laurentienne et enfin la Banque Canadienne de l’Ouest.
En parallèle, il y a également un système de caisses populaires et coopératives de crédit appelées « credit unions » en dehors du Québec. Les « credit unions » sont concentrés dans une ou plusieurs provinces (assez rare) et sont donc de nature plus locale que les banques à charte présentées plus haut. On dénombre environ 700 « credit unions » et caisses populaires au pays.
C’est au Québec que l’importance des coopératives financières est la plus grande en raison du mouvement Desjardins qui est devenu dans la province un synonyme de caisse populaire. En effet, le mouvement Desjardins dénombre 7.5 millions de membres et clients au Québec, pour une population de 8.6 millions.
Les coopératives financières sont des institutions offrant les mêmes services que les banques mais qui appartiennent à leurs membres (clients). Ce sont des organisations à but non lucratif. De fait, la finalité n’est pas la recherche du profit mais fournir la meilleure offre et le meilleur service à ces membres-clients. C’est certainement un élément à considérer pour un nouvel arrivant par définition peu familier du système bancaire canadien.
Le paysage bancaire étant concentré, il y a peu de place pour des acteurs alternatifs. Il y a néanmoins une offre bancaire plus agressive en termes de tarifs, qui est occupée par Tangerine (anciennement ING Direct Canada, qui n’a pas réussi à prendre au Canada et dont les activités ont été rachetées par Scotia). Revolut à tenter de percer le marché mais a fermé au bout de quelques mois.
Enfin il y a des institutions financières appartenant à l’État et dont l’activité principale est l’aide au développement des sociétés canadiennes. La Banque de développement du Canada est la plus importante.
À noter : Chaque banque ou institution financière propose des offres bancaires pour les nouveaux arrivants comprenant généralement des forfaits mensuels sans frais incluant un grand nombre de prestations de base et quelques services connexes, comme par exemple la location d’un coffre.
La protection des dépôts
Tout comme en Suisse, le Canada dispose d’une protection des déposants visant à protéger les avoirs bancaires des clients en cas d’insolvabilité de son institution financière. Même si le système bancaire canadien est l’un des plus robustes au monde, la protection des dépôts est aussi un outil psychologique efficace pour éviter que des déposants apeurés ne retirent leur fonds de la banque durant des périodes de stress intense, qui pourrait conduire à un « bank run ». Ce qui fut le cas en 2008 pour la banque anglaise Northern Rock en pleine crise des « subprimes ».
Au Canada c’est la Société d’assurance-dépôts du Canada, la SADC, qui remplit cette mission. Elle va protéger les dépôts éligibles à hauteur de 100 000 $ par catégorie et par institution. La SADC protège les comptes chèques et comptes d’épargne, les dépôts à terme ainsi que les dépôts en devise. Naturellement, les fonds communs de placement, les fonds négociés en Bourse (ETF en Suisse), les actions et les obligations ne sont pas protégés puisque ce sont des titres dont la solvabilité n’est pas directement liée à la banque par l’entremise de laquelle ils ont été achetés.
Les moyens de paiement
Contrairement à la Suisse ou l’Allemagne où l’argent comptant est encore fréquemment utilisé, même pour payer ses factures de fin de mois à l’aide de BVR à la poste, au Canada, le paiement par carte de débit et crédit est la norme. Même pour des dépenses minimes de 1 $, le commerçant ne vous regardera pas du coin de l’œil ! La carte « EC » ou « Maestro » suisse est en fait la carte de débit que nous avons au Canada. C’est une carte directement reliée au compte chèque ou au compte d’épargne. Chaque dépense et chaque retrait sont immédiatement comptabilisés sur votre compte. Cette carte de débit est remise automatiquement et gratuitement lors de l’ouverture du compte.
Comme en Suisse et comme son nom l’indique, la carte de crédit permet d’accumuler un montant de dépenses. Chaque mois, le solde doit être payé en totalité ou en partie. Si le solde n’est payé que partiellement, des intérêts seront prélevés pour le crédit consenti. À noter que les taux d’intérêts au Canada sur les cartes de crédit sont sensiblement plus élevés qu’en Suisse. La norme est à 19,99 % au Canada contre 12 % en Suisse. À noter également que si en Suisse on peut choisir son émetteur de carte (Visa, Mastercard ou Amex), au Canada cette possibilité est largement moins fréquente. Pour les aficionados des voyages, il y a aussi au Canada des cartes de crédit liées avec des transporteurs aériens pour transformer les dépenses en points, comme Aéroplan et Air Miles, l’équivalent des miles gagnés sur les achats réalisés avec les cartes Swiss Miles & more.
Les chèques sont relativement peu utilisés au Canada contrairement à la Suisse. Il est également fréquent d’effectuer les paiements des factures de fin de mois par prélèvement automatique après avoir donné un spécimen de chèque. Celui-ci contiendra les éléments importants que sont les numéros de transit, les numéros d’institution, et bien sûr le numéro de compte. C’est l’équivalent de l’IBAN utilisé en Suisse et en Europe.
Autre moyen très utile et économique d’effectuer un paiement, c’est le système Interac. C’est d’ailleurs le système qui permet de faire les paiements avec sa carte de débit. Il suffit de disposer du cellulaire et du courriel de la personne à qui vous souhaitez envoyer les fonds et bien entendu d’un compte bancaire avec une institution qui utilise Interac. Ce qui est le cas de la quasi-totalité des banques canadiennes et des caisses populaires.
À noter : Lors de votre premier passage à l’épicerie, ne soyez pas surpris quand le préposé à la caisse vous demandera « débit ou crédit »? C’est simplement pour savoir avec quelle carte vous allez payer.
L’historique et la cote de crédit
Au Canada, la vérification de la solvabilité d’un client est primordiale. Elle s’effectue de la même façon pour tout le monde. Pas d’intuitu personae mais simplement des analyses de notre comportement financier, comme le respect des délais de remboursement, le niveau d’endettement, le nombre de demande de crédit effectué. Comme en arrivant de Suisse vous aurez un historique de crédit qui sera nul, c’est l’utilisation de la carte de crédit (et votre capacité de rembourser le solde avant ou à l’échéance) qui va vous permettre de vous constituer un historique de qualité et donc une cote élevée. Le dossier de crédit ainsi constitué sera consulté, après l’obtention de votre consentement, pour chaque demande de prêt, mais aussi pour une validation d’emploi, ou pour une location d’un logement. De la qualité de la cote de crédit dépendra par exemple le taux d’intérêt d’un emprunt hypothécaire, d’où l’intérêt dès l’arrivée de commencer à utiliser une carte de crédit.
Les pointages de crédit sont calculés par Equifax et Transunion, les deux principales agences privées d’évaluation de crédit.
La gestion des placements
En matière de placement, l’approche est différente. Les banques en Suisse offrent une véritable architecture ouverte en matière de choix de placement: le client peut acheter n’importe quel fonds de placement de n’importe quelle institution dans le monde. Au Canada, dans les rares cas où il est proposé au client des solutions de placement autre que celle de l’institution, le client se verra offrir des produits « maison » dont le gestionnaire est externe. C’est une architecture ouverte « contrôlée » en quelque sorte. Il y a cependant certains « family office » et certaines institutions financières qui offrent des accès plus larges.
Autre élément important à considérer, il est impossible d’ouvrir un compte de gestion de vos actifs dans une devise autre que le dollar canadien ou le dollar américain. De même, si vous souhaitez transférer par exemple vos fonds de placements UBS sur un compte RBC, vous ne pourrez pas le faire. Il faudra vendre vos fonds, changer vos CHF en CAD et transférer au Canada.
Les courtiers en ligne sont bien présents au Canada. Chaque institution financière dispose de son courtier en ligne. Par exemple, il y a BMO ligne d’action, Disnat pour Desjardins, Banque nationale courtage direct ou Placement direct TD. Il y a aussi des indépendants, comme Wealthsimple, Questrade et l’incontournable InteractiveBrokers. La gratuité des transactions sur les titres nord-américains est en train de devenir le standard et rend les offres de plus en plus compétitives.
[Offer productType=”BrokerageAccount” api_id=”5f53d9f74d1911503113cafe”]Les comptes enregistrés
Spécificités canadiennes, les comptes enregistrés sont des sortes d’abris fiscaux temporaires ou permanents. Bien qu’ils en existent de nombreux, les plus populaires sont :
Le CELI (Compte d’épargne libre d’impôt) : Destiné à toute personne de 18 ans et plus, c’est une enveloppe fiscale qui permet de mettre un certain montant d’épargne, défini chaque année, appelé droits de cotisation. Ce montant est à l’abri de l’impôt non seulement durant la durée de vie du CELI, mais également lorsque l’on fait des retraits, puisque ceux-ci ne sont pas imposés. On peut loger dans son CELI n’importe quelle valeur mobilière (actions, fonds, FNB, options, etc.). Par contre, les cotisations au CELI ne sont pas déductibles de l’impôt.
À noter : Les droits de cotisation s’accumulent lorsqu’ils ne sont pas déployés dans son CELI. De même, les retraits effectués durant l’année sont rajoutés à vos droits de cotisation de l’année suivante.
Le REER (Régime enregistré d’épargne retraite) : Comme son nom l’indique c’est un régime privilégié pour se constituer un capital en vue de la retraite. C’est un peu comme le troisième pilier en Suisse, mais avec beaucoup plus de souplesse, notamment dans le choix des supports d’investissements. Durant la durée de vie du REER, les sommes investies sont à l’abri de l’impôt. Comme le CELI, les cotisations sont limitées. Il y a ici une distinction. La cotisation ne doit pas dépasser 18% du revenu gagné, plafonné à 29 210 $ pour 2022. Contrairement au CELI, les cotisations sont déductibles du revenu imposable. Comme le REER est un outil de report d’impôt, les retraits sont imposés comme du revenu ordinaire.
Le FEER (Fonds enregistré de revenu de retraite) : C’est la suite naturelle du REER. Avant l’âge de 71 ans, le REER doit être fermé et transféré sur le FEER. Une fois la conversion effectuée, le client devra chaque année, obligatoirement sortir un montant, un pourcentage défini par le gouvernement fédéral, qui subira de la fiscalité. Cependant, les sommes restantes dans le FEER continuent d’être à l’abri de l’impôt. Dans le cas où le montant de retrait minimal excéderait les besoins du client, rien n’empêche de le mettre dans son CELI, dans le respect bien entendu des droits de cotisation. Il est également possible de cotiser dans le REER de son conjoint si celui-ci est âgé de moins de 71 ans.
Le REEE (Régime enregistré d’épargne études) : Cette enveloppe fiscale permet une épargne à l’abri de l’impôt pour couvrir le coût des études postsecondaires de ses enfants. Des subventions fédérales et provinciales viennent bonifier substantiellement les montants. Ce n’est pas un compte ouvert au nom de l’enfant. L’enfant est le bénéficiaire du régime, alors que la personne qui va l’ouvrir (un parent, un grand-parent, un tuteur ou un proche) sera le souscripteur.
Le maximum de subvention est de 750 $ par enfant, par an, soit 500 $ au fédéral, ou 20% du montant, et 250 $ pour le Québec ou 10% du montant. Le maximum de cotisation possible à vie est de 50 000 $ par enfant.
Attention: en tant que nouvel arrivant, vous ne pourrez pas ouvrir de REEE pour vos enfants tant que ceux-ci n’auront pas reçu leurs numéros d’assurance sociale, c’est-à-dire pas avant d’avoir reçu le statut de résident permanent.
La réglementation en matière de valeurs mobilières
Contrairement à la Suisse, où la FINMA est une autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, au Canada c’est un ensemble de régulateurs provinciaux, fédéraux et d’organismes d’autorégulation (OAR) qui s’en chargent. Ainsi, l’Autorité des Marchés Financiers (Québec), l’OCRCVM (OAR pancanadien) ou le bureau du surintendant des institutions financières (Fédéral), pour n’en citer que quelques-uns, s’assurent de préserver la solidité du système bancaire canadien.
Pour protéger le consommateur de services bancaires et financiers, les activités des professionnels du secteur financier sont encadrées par l’AMF au Québec. Cet encadrement revêt la forme d’une inscription auprès de l’AMF, non seulement de l’établissement financier mais également de chaque personne qui interagit avec la clientèle. Selon le type de professionnel, l’inscription sera différente. Cette inscription n’est possible que si l’individu a réussi un certain nombre d’examens et s’il peut valoriser un certain niveau d’expérience professionnelle. Une formation continue est également obligatoire, tous les 2 ans, pour pouvoir conserver son statut. C’est donc un élément fondamental pour instaurer la confiance entre les clients et les établissements financiers.
Sur le site de l’AMF, vous pouvez aller vérifier si votre interlocuteur et son employeur sont habilités à transiger avec vous. Il s’agit du registre des entreprises et des individus autorisés à exercer.
Comme toute chose, c’est en pratiquant que l’on apprend et que l’on s’améliore. Naviguer dans le système bancaire canadien est à l’image du pays qui vous accueille. Facile, efficace et bienveillant.
Bienvenue !