GameStop : un petit investisseur a perdu gros et s’en veut d’avoir « bu le Kool-Aid » de wallstreetbets

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Table des matières

    La saga GameStop-Reddit est plus complexe, mais surtout, plus humaine qu’on ne pourrait le croire à première vue.

    «J’ai l’impression de vivre mon pire lendemain de brosse à vie. Tu sais les fois où tu veux juste aller prendre un petit verre tranquille, mais tu finis par caler des rondes de shots avec tout le monde au bar? Eh ben, c’est un peu ça qui m’est arrivé avec GameStop. Du 26 au 28 janvier, je me suis mis à acheter des actions GME comme on avale des tequilas. Plus j’en achetais, plus j’en voulais. J’étais tout seul devant mon ordi chez moi, mais on était des milliers à se crinquer sur le forum de discussion. Fallait acheter à tout prix! Oui, pour donner une leçon aux gros fonds de couverture (hedge funds en anglais), mais pour faire du gros cash aussi. C’est ce qu’on nous promettait sur Reddit. L’action avait passé le cap des 200$, pas grave. Je continuais d’acheter. J’ai arrêté de penser par moi-même, je suivais le troupeau et j’en paye le prix aujourd’hui.»

    Une «beuverie» financière qui lui aura coûté plus de 4000$. C’est ainsi que Simon* décrit sa version bien personnelle de la grande saga boursière GameStop-Reddit. Le petit investisseur a communiqué avec Hardbacon afin que son histoire puisse servir de mise en garde à d’autres comme lui.

    Avant de retourner à Simon, voici un bref survol de l’affaire GameStop-Reddit.

    Un scénario de jeu vidéo à la Bourse

    Le grand narratif qui s’est tissé autour de la saga GameStop semble aller comme suit : une bande d’intrépides redditors férus de finance ont servi une leçon coûteuse et bien méritée aux vilains fonds de couverture, tout en ravivant les signes vitaux d’une entreprise en déclin, injustement ciblée par ces mêmes funestes spéculateurs.

    D’un côté, on a les membres du forum wallstreetbets sur Reddit. Ils représentent l’archétype du « gentil »; il sont petits avec des moyens limités, mais astucieux et vaillants. Pour les non initiés, disons que Reddit est un Facebook plus libre, plus diffus et plus bizarre, où l’on peut joindre des forums de discussions sur d’innombrables thèmes. Comme son nom l’indique, le forum wallstreetbets est dédié aux discussions sur l’investissement et au partage de memes boursiers (oui, ça existe des jokes de finance!).

    De l’autre, il y a les richissimes fonds de couverture qui sont évidemment le « méchant monstre » de cette fable financière.

    Sans oublier la demoiselle en détresse, GameStop, pauvre proie sans défense n’attendant qu’à être sauvée par le héros. En passant, GameStop est l’équivalent américain de EB Games, ces boutiques de jeux vidéo que l’on retrouve dans les centres commerciaux. Nul besoin de vous dire que cette entreprise en arrache depuis quelque temps.

    Fonds de couverture et vente à découvert 101

    Les fonds de couverture sont des fonds spéculatifs qui utilisent des outils financiers sophistiqués afin de générer du rendement pour de gros investisseurs. Un de ces moyens est la vente à découvert (short-selling en anglais). En gros, ça revient à faire de l’argent en misant sur la chute du prix d’une action. De manière ultra-simplifiée, ça se déroule comme suit:

    • Le fonds de couverture croit que l’action de XYZ est surévaluée.
    • Le fonds emprunte 100 actions de XYZ à son courtier. Il s’entend pour lui remettre ces actions à une date ultérieure.
    • Le fonds vend les 100 actions empruntées de XYZ au prix actuel de 10$. Il se retrouve théoriquement avec 1000$ (100 actions à 10$).
    • Le temps passe…
    • Le fonds doit maintenant retourner les 100 actions empruntées à son courtier.
    • Comme prévu, l’action de XYZ vaut maintenant 1$. Le fonds achète donc 100 actions à 1$ et les donne à son courtier.
    • C’est ainsi que notre fonds de couverture fictif a fait 900$ (1000$-100$) en misant sur la chute de XYZ.

    D’un point de vue purement financier, cette procédure n’a rien de mal. Initialement, ce genre d’opération servait à minimiser les risques, ou à se couvrir; c’est pourquoi on appelle ces entités fonds de couverture.

    Mais la vraie vie n’est pas qu’une question de graphiques. Quand le marché réalise que les fonds de couverture se mettent à vendre à découvert massivement une action, comme avec GameStop, un inévitable effet d’entraînement prend forme. Pris de panique, les investisseurs se débarrassent de cette action. Ce qui cause davantage de pression à la baisse sur le prix. C’est comme si le pari des fonds de couverture devenait une prophétie autoréalisatrice.

    En réalité, GameStop est-elle une entreprise si mal en point? Mérite-t-elle que son action baisse drastiquement? Malheureusement, ces questions sont plus ou moins pertinentes quand la spirale descendante est en cours. Et c’est pourquoi la vente à découvert en dérange plusieurs qui l’accusent notamment d’être un procédé déloyal, ou même carrément immoral.

    Il est vrai qu’on peut difficilement nier l’aspect cynique, voire nihiliste, à faire de l’argent sur le déclin d’une compagnie.

    Short-squeeze 101

    Tandis que la vente à découvert peut injustement mettre de la pression à la baisse sur le prix d’une action, le short-squeeze veut quant à lui causer l’inverse.

    Comme Simon nous le racontait, en se «crinquant» à acheter des actions de GameStop, les membres de wallstreetbets ont forcé une pression à la hausse sur son prix. La tactique inclut aussi l’utilisation d’options d’achat, mais grosso modo, le but est de gonfler le prix de l’action en poussant la demande.

    En janvier, l’action concertée de dizaines de milliers de petits investisseurs a fait grimper vertigineusement le cours de GME pour atteindre un maximum de 483$. Les fonds de couverture qui devaient racheter des actions afin de les retourner à leur courtier ont fini par payer l’action jusqu’à 100 fois plus cher que prévu.

    Ils se sont fait squeezer! Les vaillants internautes ont servi une leçon aux grands méchants.

    Mais tout ça, c’est la version ultra simplifiée qui prend place dans l’imaginaire collectif. Pour Simon, l’affaire GameStop n’a rien de simple et porte des conséquences bien réelles sur sa famille.

    Investir pour le plaisir

    Simon est un jeune père de famille généralement pragmatique qui évolue dans le milieu de la construction. L’amateur de pêche ne s’était jamais particulièrement intéressé à l’investissement boursier avant de recevoir un bonus sous forme d’actions de son employeur il y a 2 ans. C’est là qu’il s’est ouvert un compte de courtage en ligne auprès de sa banque pour s’amuser un peu et se faire la main.

    « J’ai des virements automatiques sur chaque paye pour mon épargne. Mon CELI, mon REER, tout est géré par mon conseiller à la banque. Mon compte de courtage, ce n’était donc pas pour devenir riche ou même pour gonfler mes économies. C’était simplement une façon d’apprendre la bourse. J’ai fait quelques bons coups, parfois j’ai perdu, mais ça demeurait relativement sans conséquence sur mon train de vie. Je jouais prudemment avec le même argent depuis le début. »

    Question de se familiariser davantage avec son nouveau passe-temps, Simon est devenu membre du forum de discussion wallstreetbets sur la plateforme Reddit.

    « C’était un bon endroit pour jaser de finance et avoir un point de vue différent des médias économiques classiques. J’ai appris beaucoup sur le forum. Puis dans les dernières semaines, ça parlait de plus en plus de GameStop. On sentait la frénésie dans le groupe. L’engouement était tellement fort que j’ai sauté sur le wagon. J’ai bu le Kool-Aid comme on dit. »

    En raison des mesures de confinement et d’un horaire de travail moins chargé, Simon passait plus de temps sur le groupe depuis quelques mois. Alors que l’action de GameStop s’est mise à monter en flèche, Simon s’est mis à acheter.

    « J’ai eu le FOMO (fear of missing out / peur de manquer une occasion). D’une part, on se crinquait tous sur l’idée de donner une leçon aux fonds de couverture avec le short-squeeze. Mais beaucoup de gros noms du groupe poussaient aussi l’idée que l’action de GameStop était véritablement sous-évaluée. J’ai continué d’acheter des parts même quand elle était à quelques centaines de dollars. Pour plus d’une vingtaine au total. J’étais tellement embarqué dans l’engouement que j’étais persuadé que l’action ne ferait que monter, encore pour un bon bout au moins. C’était le feeling qui régnait sur le forum. »

    Comme on le sait maintenant, l’action, qui n’avait jamais passée le cap des 70 $ entre 2002 et 2020, n’a pas maintenu son prix de quelques centaines de dollars pour bien longtemps. Elle oscille d’ailleurs dans les environs de 60 $ depuis la semaine dernière, et rien ne laisse présager qu’elle remontera de manière significative à nouveau.

    Simon n’a pas perdu sa maison, et son fils n’ira pas à l’école sans mitaines, mais il a perdu suffisamment pour remettre à 2022 son plan de s’acheter une nouvelle chaloupe de pêche. Il n’a pas encore pris le temps de faire le calcul, mais il estime une perte d’au moins 4000$ après avoir tout vendu dans les jours suivants. C’est cependant le sentiment d’avoir été naïf qui lui fait le plus mal. Il espère toutefois que sa petite histoire pourra en aider d’autres.

    « Je suis une personne qui est habituée de travailler 50 heures par semaine sur des chantiers. En étant chez moi à ne rien faire, j’avais besoin de quelque chose pour me sentir vivant, ne serait-ce que pour briser l’ennui. Cette histoire de GameStop est arrivée à un moment où j’étais vulnérable. J’ai sauté dedans sans me poser de question. C’était enivrant. Pendant quelques jours, j’étais comme sur un high, j’achetais, j’achetais. Quand j’ai réalisé que ça chutait pour vrai, ça m’a frappé comme une tonne de briques. Je me suis trouvé niaiseux. J’avais tellement honte. Une chance que ma blonde a été compréhensive et m’a dit de me resaisir. Je vais m’en remettre, mais chaque fois que je ne pourrai pas amener mon fils pêcher cet été, je vais avoir un pincement au cœur. »

    Simon tient à dire qu’il est l’unique responsable de son malheur. Il croit toutefois qu’il aurait dû se fier davantage à sa méfiance habituelle.

    « Dans la vie, je ne donne pas ma confiance facilement. Mais sur le groupe wallstreetbets, j’ai laissé tomber mes gardes. Il y a beaucoup de bon là-dedans, mais on peut vite oublier que ce n’est pas tout le monde qui a des intentions nobles. Il faut savoir en prendre et en laisser. Est-ce que certains membres influents du groupe ont continué d’encourager les autres comme moi à acheter pour pouvoir nous vendre leurs actions à gros prix ? C’est fort probable. »

    L’importance de ne pas tout voir en noir et blanc

    Ce qu’on peut surtout retenir de la mésaventure de Simon, c’est qu’une histoire comme celle de GameStop n’a rien de simple. Il n’y a pas nécessaire de démarcation sans équivoque entre les bons et les méchants, les gagnants et les perdants. Il y a beaucoup de zones grises.

    Bon nombre d’acheteurs de GameStop ont pris la décision d’investir sachant très bien que l’action finirait par leur causer une perte. Leur véritable objectif était de passer un message, même s’il allait perdre quelques centaines ou milliers de dollars. L’avenir nous dira si cela mènera à une réforme du monde boursier, surtout en ce qui a trait à la spéculation.

    On ne peut cependant pas oublier tous ceux comme Simon qui ont perdu en raison d’un enthousiasme naïf. C’est un rappel important qu’on ne joue pas à la bourse comme on joue au casino. On doit aussi diversifier ses sources d’information pour prendre des décisions éclairées. Autrement dit, quand c’est trop beau pour être vrai, on doit redoubler de vigilance, surtout si on ne comprend pas entièrement les rouages d’un phénomène boursier.

    Certes, les fonds spéculatifs peuvent injustement faire mal à des entreprises en causant une forte pression à la baisse sur le prix de leur action. Mais on ne peut pas rejeter d’un seul coup le concept de la vente à découvert et d’autres formes de couverture de risque (hedging).

    GameStop est une entreprise en déclin qui aura besoin de bien plus qu’une surenchère artificielle de son action pour survivre à moyen et à long terme. Mais ça ne veut pas dire qu’elle mérite d’être étouffée par des spéculateurs.

    L’histoire nous aura aussi démontré qu’il faut voir au-delà du branding de certaines plateformes de courtage comme Robinhood et Wealthsimple. Ces entreprises devront faire une introspection et revoir leurs politiques maintenant que l’opinion publique les accuse d’avoir modifié les règles en plein milieu de la partie alors que les «petits» gagnaient pour une fois.

    Une seule chose est certaine par contre avec cette histoire, les poursuites vont pleuvoir de toutes parts et ce seront surtout les avocats qui en sortiront plus riches!

    *le témoignage est bien réel, mais Simon a préféré conserver l’anonymat.

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    Arthur Dubois est un rédacteur spécialisé en finances personnelles chez Hardbacon. Depuis qu’il s’est installé au Canada, il a réussi à construire sa cote de crédit à partir de zéro et a commencé à investir en Bourse. En plus de son travail chez Hardbacon, Arthur a collaboré au journal Metro ainsi qu’à plusieurs autres publications.