Les investisseurs boursiers de Tinder
Par Clément Deffrenne | Publié le 09 déc. 2022
L’application de rencontre Tinder est souvent associée aux rencontres, à l’amour et au sexe… mais rarement à la finance. Malgré tout, nous avons décidé d’utiliser la plateforme afin d’obtenir des idées d’investissements et, du même coup, avoir un aperçu sans filtre des préférences des jeunes célibataires québécois en matière de placements. Partie d’une idée saugrenue, vous verrez que notre expérience s’est finalement révélée riche en enseignement.
La création des profils
On s’est donc amusés à créer deux faux profils : une femme (Jessica) et un homme (Nicolas). Afin de ne porter préjudice à personne, on a eu recours à l’intelligence artificielle pour générer de faux visages par l’entremise du site Web This Person Does Not Exist.
L’objectif était de créer le profil le plus «geek de la finance» possible. On a donc rédigé une description de profil bourrée de références boursières, mais avec une touche d’humour. Les prétendants étaient alors directement incités à nous révéler leurs actions préférées afin d’obtenir une réponse de nos célibataires accros à la Bourse.
Voici la bio de Jessica, similaire en tous points a celle de Nicolas, exception faite de l’usage du féminin.
Si vous n’avez pas compris toute la bio, pas de panique; je vais vous l’expliquer.
Le ratio dette/équité est un indicateur qui permet d’évaluer la capacité d’une entreprise à rembourser ses dettes et à emprunter davantage. Ce ratio peut aussi s’appliquer à une personne et va également avoir un impact sur la capacité à emprunter d’un individu.
« Je prend la vie relax à cause de la courbe de Laffer ». Cette courbe développée par l’économiste américain Arthur Laffer démontre essentiellement que « trop d’impôts tue l’impôt ». En effet, au delà d’un certain taux d’imposition, le gouvernement qui augmente le taux d’imposition voit ses revenus fiscaux diminuer, car les plus fortunés décident de travailler moins ou encore de déménager sous des cieux fiscaux plus cléments. Bref, disant «prendre la vie relax à cause de la courbe de Laffer», notre célibataire laisse entendre que ses revenus étaient si élevés qu’elle a décidé de cesser de travailler. On pourrait imaginer qu’elle a quitté son emploi pour consacrer son temps à l’investissement et réduire son niveau d’imposition.
« La demande pour les femmes qui ont de l’alpha est forte ». L’alpha, en jargon financier, correspond à l’excédent de rendement d’un investissement par rapport au rendement d’un indice de référence. Par conséquent, seul un petit pourcentage des portefeuilles boursiers ont de l’alpha. Vous l’aurez compris, notre célibataire fictive considère qu’elle est un investissement supérieur sur le marché de la séduction et, contrairement à ce que certains utilisateurs de Tinder ont compris, elle ne se considère pas comme une femme alpha.
Les réactions de nos prétendants
Malheureusement, Nicolas n’a pas eu de succès et s’est rapidement fait bannir. Si seulement j’avais su qu’en acceptant ce stage, je renoncerais à mon Tinder à tout jamais… Fort heureusement Jessica a, quant à elle, eu du succès auprès des jeunes Québécois.
Au début, on a reçu énormément de messages, mais rien qui ne s’apparentait à des recommandations de titres.
Ce qui est certain, c’est que notre «travail» n’aura pas été vain: on a réussi à faire rire. En retour, beaucoup se sont creusés les méninges pour nous répondre de façon originale: on les en remercie!
Après quelques heures, on commençait à désespérer… et à défaut d’avoir trouvé notre Warren Buffett, on a trouvé Maxime, qui a réussi à nous faire rire.
J’espère pour lui que son robot-conseiller n’est pas aussi froid que nous, car oui, on a oublié de lui répondre.
Le message d’introduction d’Alex était bien trouvé… cependant j’ai l’impression qu’il n’a pas tout compris au fonctionnement du marché boursier. Comme le dit si bien Nicolas, c’est l’initiative qu’il faut valoriser.
Les investissements préférés de Tinder
Alleluia! Après un weekend entier et une centaine de messages reçus, des personnes ont enfin joué le jeu et nous ont dévoilé leurs investissements préférés.
Les actions
Netflix (NFLX), Spotify (SPOT), Amazon (AMZN), etc. Parmi les actions favorites, on retrouve celles des géants de la technologie. Les investisseurs de Tinder sont en effet attirés par les nouvelles technologies. Après tout, ils cherchent leur âme soeur par l’entremise d’une application mobile (Tinder) détenue par le géant des technologies InterActiveCorp (IAC), qui est lui même négocié sur le NASDAQ.
Présent dans la majorité des portefeuilles de nos prétendants, Tesla Motors (TSLA) est la coqueluche des investisseurs de Tinder.
Nathan, pour sa part, est intéressé par un autre phénomène de jeunesse: la drogue. Il nous parle ainsi de Fire & Flower (FAF), un dispensaire de marijuana basé à Edmonton, dont le cours boursier est passé sous le seuil du dollar.
Quant à Léo, il semble plus terre à terre, puisqu’il semble plus préoccupé par l’imminence d’une crise économique que par les vertus du cannabis. Il va droit au but, et nous dit qu’il investit dans Wallbridge Mining (WM), Alacer Gold Corp (ASR), Liberty Gold Corp (LGD), etc. Bref, toutes les sociétés qu’il nous recommande ont pour activité principale l’extraction de matières premières, telles que l’or. Historiquement, le cours de l’argent et de l’or en temps d’incertitude économique, de sorte qu’on présume que Léo ait préparé son portefeuille à une éventuelle crise.
La cryptomonnaie
De nos jours, ce n’est plus « Sexe, drogue et rock’n’roll », mais « Tech, drogue et Bitcoin ».
Bien que le Bitcoin ne soit pas une action, nombreux sont ceux qui nous ont fait part de leur intérêt pour les cryptomonnaies. Il ne s’agit bien entendu pas d’un investissement boursier, mais spéculer sur la valeur des cryptomonnaies est si populaire que Wall Street veut s’en emparer. En effet, plusieurs projets de Fonds négociés en Bourse (FNB) suivant le prix du Bitcoin pourraient voir le jour en 2020.
Les fonds indiciels
Nous avons été étonnés de voir que d’autres célibataires, certes minoritaires, se sont positionnés comme de fervents défenseurs des fonds indiciels.
Un indice boursier est un panier de titres représentant, dans la plupart des cas, un marché en particulier. Ils offrent un niveau de diversification élevé et des frais de gestion peu élevés, tel indiqué par Julien. Par contre, il semble surestimer les frais qu’il paye. En effet, son message laisse entendre qu’il a investi dans le Vanguard S&P 500 Index ETF (VFV). Or, le ratio de frais de gestion de ce fonds est d’à peine 0,08%, soit sept fois moins élevés que ce que dit payer Julien.
Le S&P 500, auquel font référence Julien et Antoine, est un indice basé sur le cours boursier des 500 plus grandes sociétés inscrites en Bourse aux États-Unis. En 2019, ce même indice a connu une hausse de 29%. John C. Bogle, le père des fonds indiciels, a démontré que les fonds gérés passivement génèrent des rendements (après les frais) plus élevés que les fonds gérés activement, et ce, en prenant moins de risques.
Nos trois prétendants font ainsi le pari d’acheter toutes les entreprises du marché, les meilleures comme les moins bonnes, ce qui leur permet d’éviter de faire des erreurs. Historiquement, le marché boursier a généré 7% de rendement réel par année. Même si le marché fluctue au fil des cycles économiques, investir dans les fonds indiciels avec un horizon de placement à long terme est une bonne stratégie. Si vous recherchez une relation à long terme, c’est donc vers ce type d’investisseurs de Tinder qu’il faut se tourner.
L’investisseur aguerri
Parmi la multitude de messages reçus, il y en a un qui nous a tapé dans l’oeil. Steve a sorti le grand jeu. Soit il a voulu nous impressionner avec des termes qu’il comprend à moitié, soit c’est un investisseur sophistiqué.
Si vous n’êtes pas un grand amateur de finance, difficile de comprendre cette discussion. Encore une fois, on va tenter de vous l’éclaircir.
« Short Vix » signifie que Steve prévoit que le cours de l’indice boursier Volatility Index (VIX) va diminuer. En effet, la vente à découvert permet à un investisseur de faire de l’argent quand un titre s’effondre. Le VIX est un indice qui mesure les attentes des investisseurs par rapport à la volatilité future du marché financier américain. L’indice, communément appelé l’indice de la peur, est utilisé pour mesurer la confiance des investisseurs par rapport au marché, de sorte que le VIX est en hausse, le marché boursier est généralement baissier et les investisseurs ont peur . En gros, Steve prévoit que le marché boursier va bien se porter au courant des prochaines semaines et que les investisseurs boursiers sont confiants face à l’avenir.
« msft calls » signifie qu’il achète des options d’achat sur l’action de Microsoft (MSFT). Les options d’achat sont des contrats financiers qui donnent le droit à leur propriétaire d’acquérir un actif à un prix déterminé dans une période de temps donnée. Pour résumer, Steve croit que le cours boursier de Microsoft va monter.
« Long Xauusd » signifie que Steve achète des options d’achat qui lui permettront d’acheter de l’or (XAU) à un prix prédéterminé en dollars US (USD). Bref, si la valeur de l’or augmente, notre investisseur Tinder dégagera du bénéfice.
Une chose est sûre, Steve n’a pas froid aux yeux. « Long $btc 100x » correspond à une position d’achat sur du Bitcoin avec un effet de levier de 100. Concrètement, cela signifie que pour un investissement initial de 100$ avec un levier de 100, l’investisseur n’engage que 100$ de sa poche, mais fait un pari totalisant 10 000$. Si il fait un gain d’1%, il gagnera alors 100$ (10 000×1%); cependant, une perte de 1% réduirait à néant son capital.
Les titres boursiers préférés de Tinder
Pour résumer, voici un tableau qui reprend tous les investissements boursiers de nos prétendants.
Heureusement pour moi, l’article s’arrête ici, et je n’ai pas eu besoin d’aller jusqu’au rendez-vous. Quoiqu’on aurait probablement eu une discussion sur la Bourse intéressante… dans l’éventualité où je ne me serais pas fait casser la gueule.