Investir dans le Fonds de solidarité FTQ ou dans Fondaction?

Fonds québécois
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Table des matières

    Les fonds de travailleurs atteignent des sommets de popularité chez les investisseurs individuels, notamment chez les moins de 30 ans. Plusieurs discernent difficilement leurs différences. Le monde de l’investissement est en pleine mutation. L’arrivée sur le marché du travail des Milléniaux et de la génération Z se traduit par des millions de nouveaux investisseurs, dont une bonne part préfère gérer eux-mêmes leurs placements

    Contrairement à leurs aînés, dont l’écrasante majorité ne surveillait que les rendements, les jeunes investissent majoritairement selon leurs valeurs. Ça fait partie de leur réalité et c’est pourquoi les fonds de travailleurs sont perçus comme des placements éthiques et progressistes. Mais quelle est la différence entre le Fonds de solidarité FTQ et Fondaction, qui fut lancé par la Confédération des syndicats nationaux (CSN)?

     

    Deux fonds, quelques différences

     

     

      Fonds de solidarité FTQ Fondaction
    Crédits d’impôt pour fonds de travailleurs, applicables sur les 5 000 premiers dollars cotisés 30 % 30 %
    Possibilité d’obtenir une cotisation additionnelle de l’employeur 30 % 30 %
    Avantages fiscaux totaux pour le particulier sans contribution de l’employeur selon la situation du particulier 57,53 % à 87 %
    Rendement, dernière année 13,56 % 17 %
    Rendement annuel composé, 3 ans 10,20 % 11,6 %
    Rendement annuel composé, 5 ans 9,08 % 9 %
    Rendement annuel composé, 10 ans 7,94 % 5,9 %
    Rendement annuel composé, 10 ans, avec crédits d’impôt 15,64 % 16,6 %
    Contribution unique suspendue suspendue jusqu’au 31 mai 2022
    Contribution par prélèvement automatique Nouvelles demandes ou demandes à la hausse pas acceptée. Ententes déjà en place respectées. Oui
    Contribution par retenue sur salaire Oui Oui
    Retrait avant 65 ans Oui, selon les critères définis au prospectus Oui, selon les critères définis au prospectus
    Nombre d’actionnaires (au 30 novembre 2021) 734 580 194 600
    Actif au (30 novembre 2021) 18,3 milliards  3,34 milliards
    Valeur de l’action (au 30 novembre 2021) 55,77 $ 16,46 $
    Nombre d’entreprises québécoises en portefeuille 3 437 200
    Critères d’investissement ESG Oui Oui
    Développement durable Oui Oui
    Investissement d’impact et finance durable Oui Oui
    Conformité aux standards de la Global Reporting Initiative Oui Oui
    Actifs dans les énergies fossiles Exclus du portefeuille “Québec” Non
    Actifs dans des activités polluantes Oui Non
    Décentralisation régionale de certaines décisions de placement Oui Non
    Attention particulière aux coops ou aux entreprises autogérées Non Oui
    Parité chez les administrateurs Non Oui
    Parité à la direction Oui Oui
    Femme PDG Oui Oui
    Créé par La FTQ en 1983 en conjonction avec une loi de l’Assemblé nationale L’initiative de la CSN et une loi constitutive en 1996

     

    Les deux ont les mêmes crédits d’impôt

     

    En apparence, les deux fonds se ressemblent. Ils offrent les mêmes crédits d’impôt et les mêmes restrictions. Ce sont donc des placements conçus pour épargner pour la retraite. Et ils sont chacun très avantageux du point de vue du rendement, comparé à la moyenne des fonds communs équilibrés, excluant les avantages fiscaux.

    Dans son livre As-tu réglé ça? (Saint-Jean éditeur), le conseiller financier Dany Provost explique qu’une contribution de 1 000 $ dans un régime enregistré d’épargne-retraite (REER) ordinaire, comparé à un REER alimenté avec un fonds de travailleurs, rapporte 1 590,33 $ pour le premier et 3 041,36 $ pour le second, pour une personne dont le taux d’imposition est de 37,12 % , en tenant compte de la déduction fiscale et des crédits d’impôt.

    En fait, selon divers calculs, avec un revenu imposable de 55 000 $, une contribution nécessitant un coût net de 1 000 $, un REER ordinaire au rendement de 6 %, comparé à celui d’un fonds de travailleurs au rendement de 4 %, il faudrait plus de quarante-cinq ans au REER ordinaire pour rattraper celui d’un fonds de travailleurs. Par contre, les experts s’entendent pour dire que plus les années passent, moins le rendement lié à l’avantage fiscal est avantageux. Mais il s’additionne tout de même au rendement de l’action.

     

    Des rendements alléchants

     

    Comparé au Fonds de solidarité, Fondaction est-il attrayant pour un investisseur individuel? Certainement! L’institution a enregistré un rendement de 17 % pour l’année se terminant le 30 novembre 2021. Le rendement annuel composé sur trois ans est de 11,6%, 9% sur cinq ans, et 5,9% sur 10 ans. C’est mieux que les fonds communs de placement équilibrés, dont les rendements annuels jouent dans les 5 % depuis une décennie.

    Par contre, historiquement, les rendements du Fonds de solidarité FTQ ont toujours été plus élevés que ceux de Fondaction, sauf en 2019. Le Fonds FTQ avait un rendement de 13,56 % pour l’année finissant le 30 novembre 2021 et un rendement annuel composé de 10,20 % sur trois ans, 9,08 % sur cinq ans et 7,94 % sur 10 ans. Mais, en ce domaine, le passé n’est jamais garant de l’avenir. Et les avantages fiscaux sont les mêmes pour les deux institutions. 

    L’avantage fiscal est assez intéressant : un crédit d’impôt de 15 % provincial et un autre crédit d’impôt de 15 % du fédéral. Les crédits sont applicables aux premiers 5 000 $ cotisés. À savoir : si vous décidez d’investir à la fois dans le Fonds de solidarité et Fondaction, vous êtes assujetti à la limite de 5 000 $ pour les deux fonds combinés, pas 5000 $ par fonds.

     

    L’histoire des deux fonds québécois

     

    Les deux fonds sont créés afin d’améliorer la situation économique des Québécois. Ils visaient à mettre en place des valeurs progressives. Au cours des années, ces valeurs ont été au sein de grandes décisions.

     

    Le Fonds de solidarité FTQ

     

    C’est le plus vieux des deux fonds. En conjonction avec une loi de l’Assemblée nationale, le Fonds de solidarité FTQ a été créé en 1983, lors d’une des pires récessions de l’histoire du Québec. Chômeurs et assistés sociaux se comptaient par millions, et l’inflation dépassait les 11 %. En 1983, les taux d’intérêt avaient franchi un sommet de 20 %. Les entreprises fermaient leurs portes ou déménageaient en série hors du pays.  Juste pour un peu de contexte, l’inflation était de 4,7 % au Canada en décembre 2021, après une décennie autour des 2 %, et les taux d’intérêts se situaient en moyenne à 3 % pour les hypothèques des institutions financières québécoises au début de 2022.

    Dès le départ, le Fonds de solidarité s’est démarqué par sa mission de créer ou maintenir des emplois, de participer à la croissance de l’économie québécoise, et par la priorité accordée aux investissements dans des entreprises québécoises de toutes tailles. Mieux, le Fonds se démarque par une mesure unique au monde : des cours offerts aux travailleurs des sociétés dans lesquelles il investit. Ces derniers apprennent les rouages de l’économie et la gestion d’une entreprise. Les travailleurs se transforment ainsi en partenaires du succès de leur employeur, ce qui contribue directement à la paix industrielle. Ils deviennent plus performants, ce qui se reflète sur les résultats financiers de leur employeur.

     

    La gestion éthique

     

    Dès le lancement du Fonds FTQ, les entreprises dans lesquelles il investit doivent se conformer à une série de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), avant même que ces principes de gestion éthique ne soient popularisés. Dans les premières années d’existence du Fonds, il s’agissait avant tout de bonnes pratiques de gestion des ressources humaines, de bonnes relations syndicales et de respect des communautés locales.

    Au fil des ans, le Fonds s’est retiré de sociétés qu’il n’avait pas réussi à convaincre d’adopter de meilleures pratiques. Le cas le plus célèbre est la multinationale du textile Gildan. Certaines enquêtes journalistiques du début des années 2000 avaient mis en lumière des pratiques apparentées à des ateliers de misère et une attitude antisyndicale dans des pays comme le Honduras et le Bangladesh.

    Le Fonds de solidarité dit soumettre chacun de ses projets d’investissement à des critères de développement durable depuis 2014. Il tient compte des conditions de travail, du respect des normes de santé-sécurité et encourage l’implication des travailleurs dans les décisions que prennent les entreprises dans lesquelles le Fonds investit. Le Fonds calcule et compense les émissions de gaz à effet de serre (GES) lorsqu’il tient son assemblée des actionnaires. Son siège social du boulevard Crémazie, à Montréal, est le premier gratte-ciel québécois à avoir été certifié LEED.

     

    Balancer le pour et le contre  

     

    Le Fonds évolue et prend de l’avance en matière ESG et équité. Son nouveau PDG est une femme d’affaires. Quand le Fonds a été mêlé au scandale de la corruption de l’industrie de la construction des années 2000, ayant mené à la Commission Charbonneau, il a agi selon ses valeurs et s’est dissocié des compagnies impliquées.

    Le Fonds a aussi été critiqué pour son investissement récent de 75 millions dans la mine du lac Bloom, un projet désavoué par le Bureau d’audience publique sur l’environnement (BAPE). Son prêt non garanti devrait permettre de doubler la capacité de production de la mine de fer située au nord de Fermont. Le Fonds se défend en disant que le projet créera 400 emplois de qualité. 

     

    Fondaction

     

    Ironiquement, quand la FTQ a lancé le Fonds de solidarité dans les années 1980, il y a eu une levée de boucliers immédiate au sein de la CSN. Le fonds de solidarité impliquait une collaboration avec les patrons qui passait mal chez les militants de la CSN, beaucoup plus à gauche. Dans les années 1980, ils étaient nombreux à la CSN qui croyaient que les patrons étaient avant tout des exploiteurs.

    Normal : les années 1980 représentaient une époque beaucoup plus polarisée qu’aujourd’hui. Le clivage gauche-droite était accentué par la Guerre froide, car la chute du Mur de Berlin, signalant la fin de l’empire soviétique et de certains idéaux socialistes, ne s’est produite qu’en 1991. L’époque était aussi marquée par la montée de l’idéologie néo-libérale, qui a connu son apogée au début des années 2000, et qui remettait en question les programmes sociaux et les acquis des travailleurs. Chez nous, la société québécoise des années 1980 vivait une crise industrielle majeure, avec la perte de millions d’emplois manufacturiers, sur fond de mondialisation. 

     

    Autre temps, autres mœurs

     

    Mais l’économie du Québec s’est ressaisie depuis; elle connaît une forte croissance depuis les années 2000, malgré les crises et les récessions, et le Fonds de solidarité est associé à cette réussite. De son côté, CSN a mené sa propre réflexion sur la façon d’influencer l’économie par l’investissement effectué par ses membres, pour leur retraite. Comment pourrait-on canaliser cette épargne vers des projets qui peuvent améliorer la société? C’est ainsi qu’est né Fondaction.

    La nouvelle institution est, dès son lancement, en 1996, tournée vers le développement social et durable. Les critiques des milieux économiques jugent rapidement l’approche trop risquée quand il s’agit d’épargne retraite. À leurs yeux, investir dans le développement social ne génère pas de rendements, sinon trop faibles pour justifier le risque, disent nombre d’observateurs. On taxe d’idéalisme les dirigeants de la jeune institution. Mais elle aura eu raison de suivre son intuition.

     

    De son temps

     

    Aujourd’hui, c’est le principal argument de Fondaction et ce qui fera son succès des prochaines années : le développement durable et les principes ESG, ce qu’on appelle aujourd’hui « l’investissement d’impact », représentent non seulement une nouvelle façon de voir le capitalisme, mais d’immenses occasions d’affaires créées par l’économie circulaire, la décarbonisation, le soutien aux entreprises créées ou gérées par des femmes, des minorités ethniques ou persécutées, etc. 

    Autrefois, gens d’affaires et gestionnaires de fonds étaient dubitatifs face aux critères ESG. Ils sont désormais reconnus par les financiers, jusqu’à Wall Street, comme une garantie de performance supérieure, car leur sévérité amène des améliorations de gestion et une efficacité accrue, qui se répercute sur la performance financière. Les risques environnementaux ou de réputation sont mitigés. Les milieux de gauche se servent ainsi du capitalisme pur et dur pour faire avancer leurs idées, leur vision d’un monde plus égalitaire, plus respectueux de l’environnement et des minorités.

    C’est de cette vision que se réclame Fondaction, qui est aujourd’hui une référence internationale en matière d’investissement responsable. Elle est la seule institution canadienne siégeant au Conseils des investisseurs du Global Impact Investing Network (GIIN), la référence mondiale en investissement d’impact. Elle a adopté, comme critères d’investissement, des tamis comme ceux de l’International Sustainability Standards Board. 

     

    Critères ESG

     

    On lit au rapport annuel qu’elle s’est dotée de 35 critères ESG pour évaluer les projets qui lui sont soumis. On parle ici de pauvreté, de lutte contre la faim, d’accès à la santé et à l’éducation de qualité, d’égalité des sexes, d’eau propre, d’énergie propre et abordable, d’un travail décent, d’économie circulaire, de la lutte aux GES, de la protection de la faune et de la flore, etc. Conséquemment, depuis 2020, Fondaction s’est départi de tous ses titres de sociétés détenant des réserves dans les énergies fossiles. Et l’institution a atteint la parité femmes-hommes à toutes ses instances : la présidente du conseil et la PDG sont des femmes.

    En septembre 2021, Fondaction a dévoilé qu’elle estimait son empreinte carbone à 22 tonnes de GES par million de dollars investis, comparé à 72,7 tonnes de GES par million investi pour l’indice S&P TSX. Évidemment, les Bourses canadiennes est un repère de pétrolières et de minières. Mais, ces chiffres démontrent clairement que le travail de Fondaction ne peut absolument pas être assimilé à de l’écoblanchiment!

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    Stéphane Desjardins est journaliste, écrivain et essayiste. Il est chroniqueur en consommation et finances personnelles au Journal de Montréal/Journal de Québec et journaliste pigiste pour un grand nombre de médias, dont L’Actualité, Le Devoir, Le Soleil, Science Presse, Virage, Vélo Mag, Protégez-Vous, Ski Presse, HRI, HEC Mag, Affaires+, 24 heures, InfoPresse, le 30, Conseiller, Jobboom.