Open Wallet épisode 1: Serge Beauchemin

Par Julien Brault | Publié le 03 août 2023

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Table des matières

    L’homme d’affaires Serge Beauchemin est l’un des dragons les plus aimés de la populaire émission Dans l’oeil du dragon. Sur le plateau de cette émission, des entrepreneurs défilent pour convaincre des millionnaires de financer leur projet. Mais Serge n’est pas né avec une cuillère d’argent dans la bouche. Dans l’entretien qu’il a accordé à Open Wallet, il nous révèle comment il a dû économiser pour acheter une bicyclette de 100$, comment il était moins payé que ses employés pendant des années, et pourquoi il a vendu son entreprise.

    Serge Beauchemin est aussi un entrepreneur qui a une mission au delà de faire de l’argent. Il veut faire du Québec une mecque de l’entrepreneuriat et il ne fait pas qu’en parler. Il a récemment lancé aliasentrepreneur.com, une plateforme pour aider pour les entrepreneurs à marcher dans ses traces.

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    Julien Brault: Bonjour tout le monde. Mon nom est Julien Brault, co-fondateur de Hardbacon. Je suis ici aujourd’hui avec Serge Beauchemin qui est un entrepreneur en série sur Dragon à la télé. C’est le premier épisode d’une émission qu’on appelle Open Wallet. Open Wallet, on va aller – ou du moins je vais essayer d’aller jouer dans le portefeuille des gens. Ne sois pas trop nerveux, Serge. C’est le concept, l’idée c’est que l’argent est un tabou, et l’argent est un instrument qui sert à peu près à n’importe quelle réalisation humaine où il y a une dimension financière.

    Donc dans cette émission, on va parler à des gens super intéressants et je vais essayer de comprendre comment ils ont utilisé les outils de l’argent, de la finance pour se rendre à leurs buts.

    Là, on a un entrepreneur et un investisseur, mais ça pourrait très bien être un sportif, un artiste, quelqu’un qui a bâti une religion. Il y a toujours une dimension financière et c’est ça que je veux explorer.

    Serge, d’abord, merci beaucoup d’avoir accepté de venir.

    Serge Beauchemin: Avec plaisir Julien.

    JB: Je vais commencer au début. En fait, j’écris des biographies et j’aime toujours commencer au début. C’est quoi ton premier souvenir lié à l’argent ? Ton souvenir d’avoir utilisé de l’argent ou d’avoir reçu de l’argent ?

    SB: Mon premier souvenir lié à l’argent, c’est probablement, je dirais mon enfance où comme tous les ti-culs, on rêve de jouets ou d’un nouveau vélo ou d’un chandail, d’un vêtement.

    JB: Est-ce que tu te souviens d’un truc en particulier, qui avait un prix en particulier ? Il coûtait combien ton vélo ?

    SB: Je pense qu’il coûtait 100 piastres.

    JB: OK.

    SB: C’était un 10 vitesses, c’était tout nouveau un 10 vitesses.

    JB: OK. C’était cher ça 100 piastres. C’était en quelle année ? En quelle occasion ?

    SB: Moi j’ai 54, ça doit être il y a une quarantaine d’années facile.

    JB: OK, 50$ en ce temps, excuse-moi c’est un vélo à 500 piastres.

    SB: Probablement.  Ça devait être le même prix aujourd’hui, proportionnellement. Peut-être un peu moins cher, je ne peux pas le dire. Mais je me souviens que c’était une centaine de dollars, c’était beaucoup d’argent. Et c’était un vélo à 10 vitesses parce que ça aussi c’était fou. Les autres avaient des vélos à 1 vitesse. Tu breakais par l’arrière, tu pédalais…

    JB: Oui, oui. J’en ai eu un comme ça ! 

    SB: Alors avoir 10 vitesses… J’en avais eu même un 3 vitesses avant.

    JB: Est-ce que quelqu’un te l’a… Est-ce que tu l’as eu ?

    SB: Oui, je l’ai eu… beaucoup plus tard (Rire.) Beaucoup plus tard, mais je l’ai eu, je l’ai gagné en fait en travaillant.

    JB: OK.

    SB: Donc en ramassant de l’argent en passant des journaux.

    JB: Tu te levais à 5h du matin ?

    SB: Ouais, ouais. J’ai fait tout ça, j’avais une run du journal La Presse à l’époque et j’ai eu une run et ça, c’était beaucoup plus payant, mais j’ai eu une run pendant longtemps du Courrier du Sud, ici à Longueuil. Je suis natif de Longueuil

    JB: Ah !

    SB: alors j’ai eu une run pendant plusieurs années avec le Courrier du Sud.

    JB: Il te payait sur le journal ?

    SB: Oui, le Sud c’était au volume. Je ne sais plus combien, je pense c’est une limite du journal. Ça te rapporte pas mal. Puis La Presse, ce qui était payant c’était les tips. La Presse c’est tu passais tôt le matin, mais tu allais chercher un pourboire.

    JB: Avais-tu un truc pour presser le citron ?

    SB: Non, non. J’étais un gentil garçon, très sage, très gentil. Je n’ai jamais été très… du moins dans l’enfance, très avisé, très allumé sur l’argent, comment l’obtenir… J’ai eu une famille très modeste avec l’argent. L’argent, nous autres, ce n’était pas quelque chose qui coulait à flot. C’était un privilège que de mettre sa main sur un peu d’argent. En fait, pour moi, travailler c’était la bonne façon de gagner de l’argent.

    JB : Justement c’est intéressant parce que vois-tu au Québec, justement, on a une mentalité où on pense qu’avoir un bon travail fait réussir. Et là, c’est en train de changer. Tout le monde veut être un entrepreneur. Toi, quand tu étais jeune, comment est-ce que tu te voyais ? Avoir une profession ou d’être un entrepreneur ?

    SB : Quand j’étais très jeune, je dirais que ce que je voyais c’était de travailler parce que ma mère… J’ai quand même 53, bientôt 54, donc il faut comprendre qu’il y a différents cycles dans l’évolution, je dirais, sociale francophone-québécoise. Il y a 60-70 ans, on était tous agriculteurs ou ouvriers d’usine. Il faut comprendre que ma mère, ce qu’elle me répétait sans cesse que pour avoir un bon job, ça te prend un diplôme d’études pour avoir un bon job.

    JB : Really ?

    SB : Parce qu’elle n’avait pas de diplôme, donc elle n’avait pas de bon job, elle travaillait dans une usine.

    JB : Donc ton but c’était d’avoir un bon job ?

    SB : Quand j’étais ti-cul, moi c’était d’avoir un bon job. C’était d’avoir un diplôme pour avoir un bon job.

    JB : OK. Tu as étudié en ingénierie ?

    SB : Non, pas du tout. J’ai étudié… En fait, quand j’étais ti-cul, je rêvais d’être comédien au théâtre.

    Peut-être à l’âge de 10-12 ans, pour moi, ma voie était tracée, je voulais être acteur au cinéma et acteur au théâtre. C’était ça que je voulais faire. Et j’ai rencontré un acteur dans un cours de théâtre, Germain Houde, puis après la pièce avec l’école, la classe.

    JB : Tu étais acteur ?

    SB : Non, non, non. C’était à La Scène, je pense. Après la pièce, on est allés voir une pièce de théâtre avec le groupe de théâtre dans lequel j’étudiais à l’école sur La Scène. Puis on rencontre après la pièce l’acteur, les artisans de la pièce dont l’acteur principal, qui est Germain Houde. Et je demande à Monsieur Houde : « Écoutez, peut-on être riche en étant acteur ? » Parce que pour moi, c’était important de faire de l’argent, je venais d’un milieu où il n’y en avait pas, ma mère a souffert beaucoup à cause de ça. Alors pour moi, c’était important d’avoir un certain soutien, un certain confort financier. Je lui dis : « Peut-on faire de l’argent avec le théâtre ? » Et il me répond : « Jeune homme, jeune homme ! On n’entre pas dans l’école du théâtre pour l’argent, mais pour la passion ! C’est la passion qui mènera votre carrière ». Quand tu discutes à 14-15-16 ans, l’âge que j’avais, je crois. la passion c’est si tu ne fais pas ça, c’était une dose le matin. Pour moi, c’était trop abstrait comme concept et puis j’ai compris que je ne ferais pas d’argent comme acteur, mais…  Je ne ferais pas ça de ma vie, mais je reviendrais sur les planches quand j’aurais gagné de l’argent, quand je serais autonome financièrement.

    JB : Y es-tu arrivé ?

    SB : Ouais, ouais. Tout à fait.

    JB : Quand ?

    SB : J’ai fait ça… (Rires) J’ai fait ça…Écoute, j’ai toujours eu une carrière parallèle. C’est-à-dire, j’ai toujours été entrepreneur, mais en 97, j’ai donné beaucoup de conférences dans les écoles. En fait, c’était pour moi une façon d’être sur les planches, et en 99, j’ai fait ma première conférence professionnelle pour…

    JB : Ah, je sais que tu fais des conférences, mais est-ce que tu as joué dans une pièce de théâtre ?

    SB : Non, pas tout à fait. Je t’explique. J’ai fait deux choses assez importantes pour moi, en tout cas qui m’ont fait vraiment triper. En 99, j’ai ouvert un show privé au Centre Bell devant 14 000 personnes. Alors ça, c’était capoté, c’est le Mouvement Desjardins qui réunissait tous leurs conseillers financiers. 14 000 employés qui étaient dans le Centre Bell  Il y avait un show avec Marie Denise Pelletier, Alain Choquette, François Léveillée et le président de l’époque du Mouvement Desjardins. En tout cas, il y avait tout ce beau monde-là, puis quelqu’un, qui avait organisé ce party privé, avait vu une de mes conférences après de mes employés. Il avait dit que c’était incroyable, « sur un stage, t’es vraiment bon, t’es naturel. Est-ce que ça te tente de faire la première partie d’un show privé que j’organise pour Desjardins ? »

    JB : OK.

    SB : Alors je me suis ramassé, cette journée-là, mes 20 minutes de gloire.

    JB : Quand tu dis que tu as fait la première partie, est-ce que c’était un numéro ? C’était une conférence ou… ?

    SB : C’était un numéro de motivation, d’inspiration à la Tony Robbins, sur scène.

    JB : Aspires-tu encore à avoir un rôle dans une pièce de théâtre ? Aimerais-tu ?

    SB : J’aimerais ça, j’aimerais ça. J’ai fait ça aussi. Pas tout à fait comme ça, mais j’ai joué à Duceppe, je suis impliqué au Théâtre Jean Duceppe, au conseil d’administration, et ma première éducation avec eux autres, c’était une présence dans une soirée-bénéfice où on faisait de l’improvisation au Théâtre Jean Duceppe. Sur la scène, c’était au théâtre Jean Duceppe, j’ai fait de l’impro, avec d’autres gens d’affaires et des acteurs professionnels.

    JB : Je remarque quelque chose, j’ai l’impression que tu veux peut-être un petit rôle. S’il y a quelqu’un membre du théâtre qui nous écoute, s’il y a un rôle pour Serge Beauchemin, je pense qu’il serait preneur.

    SB : Ouais, certain, certain.

    JB : Je sais que tu as fondé une agence de marketing, mais comment tu es arrivé là ?

    SB : Premièrement, je n’ai pas fondé une agence de marketing, j’ai fondé une boîte de vente de logiciels. Donc ce qu’on a créé à 22 ans, André Morissette et moi, on a créé une boîte qui s’appelait 3-SOFT. En fait, on l’a créé à trois quand on a trouvé le nom. On a vraiment généré, créé le business à deux. On n’a pas changé de nom parce que 3-SOFT c’est cool, mais 2-SOFT, en anglais, c’était moins le fun. 3-SOFT, « three soft » ça allait bien, mais 2-SOFT, « deux soft » en français, c’était moins le fun.

    Alors on a gardé le nom, mais on était juste deux, André Morissette et moi-même, puis on a créé une boîte qui était ni plus ni moins de vente de logiciels. On achetait le logiciel à gauche, qu’on vendait à droite. En fait, pour être bien honnête, on revendait d’abord, puis on achetait ensuite. Alors on s’est mis à vendre…

    JB : Des software ?

    SB : Oui. C’était une de mes premières grandes leçons de succès en affaire, c’est d’abord trouver des clients et ensuite livrer la marchandise. Alors c’est ça qu’on a fait, on a fait ça pendant 17 ans. Donc à l’âge de 22 et 23 ans. J’ai commencé à 22, en septembre 87, puis on a vendu en décembre 2014 ou janvier 2015, on a vendu la boîte.

    JB : Ouais, à qui ?

    SB : À Softchoice, une boîte privée. Publique à l’époque qui se faisait 650 millions de chiffres d’affaires.

    JB : À combien tu l’as vendue ?

    SB : Je ne peux pas dire les prix malheureusement, c’est une transaction privée. Mais je l’ai vendue assez pour prendre ma retraite, ce que je n’ai jamais souhaité faire. Je voulais être indépendant financièrement à 40 ans.

    JB : Puis j’imagine que c’est ça, c’est que le monde a beaucoup évolué. Quels types de logiciels tu vendais ? Tu devais vendre plein de choses ?

    SB : On vendait à peu près tout. On était le troisième plus grand vendeur de logiciels au Canada, le premier au Québec. On vendait tout ce qui existe en logiciel à ces époques. Donc, principalement, les produits de Microsoft, les produits de Lotus et j’ai vu tous les autres que toi tu n’as pas connu, tous les autres grands leaders de Ashton Data, WordPerfect.

    JB : OK. Puis tu as tout financé avec des ventes ? Ou tu avais des banquiers?

    SB : Non, c’est plus compliqué que ça, parce qu’en plus, ce n’était pas sexy ce que je faisais, quand je dis sexy, c’est le milieu. Quand je parlais informatique pour les néophytes, les gens qui te regardaient : « Oh my god ! Il travaille dans le domaine informatique. C’est la grosse affaire » et tout, mais la réalité, c’est quand tu regardais ma business, business de revente de logiciels, c’est…tu achètes puis tu revends les trucs, il n’y a rien de sexy pour des financiers. Alors ça a toujours été difficile de me financer cette business.

    Au début, on n’avait pas de cennes ni l’un ni l’autre, on a financé ça avec des cartes de crédit. Donc on avait compris que les marges de crédit sur une carte de crédit, ils courent après toi pour t’en donner, puis ils donnent des hauts taux d’intérêt. Évidemment, si tu payes tes comptes à la fin du mois, l’intérêt n’est pas un facteur bien important.Alors on s’est ramassés avec un paquet de cartes de crédit André et moi : MasterCard, American Express, Visa. On aimait beaucoup American Express, parce qu’il n’y a pas de limite sur ces cartes, théorique. Il y en a une physique, dans un sens que quand tu commences à dépenser trop, tu as des appels, puis ça devient moins facile. Mais il y avait juste une carte sans limite à l’époque.

    JB : Jusqu’à où tu l’as monté ?

    SB : Oh, je n’ai pas de mémoire de ces chiffres parce que ce sont de vieux souvenirs, mais je peux te garantir qu’on faisait tout taper ces cartes-là. On a tout maxé ces cartes-là, puis on s’est ramassés avec une crise qu’on ne savait pas comment ça s’appelait à ce moment-là, mais une crise cash-flow très rapidement.

    Donc les premiers mois, on s’est ramassés aucune cenne puis, pour nous, c’était une crise de cash-flow positif. Je t’explique. La plupart des crises de cash-flow généralement, c’est que tu n’es plus capable de payer tes frais. L’argent ne rentre pas, tu mets ton profit quelque part, mais tes dépenses continuent de rentrer et tu dois assumer.

    Nous, ce n’était pas tant que ça des dépenses. Premièrement, on était dans un local à peu près grand comme ici, on était quatre là-dedans. À peu près comme aujourd’hui, mais c’était aussi notre entrepôt, notre bureau de vente, puis toutes nos affaires étaient là-dedans. Le loyer coûtait 3 400. Mon premier bail, c’était 3 600 piastres pour un an, donc c’est 300 piastres par année. Ça je m’en rappelle parce que c’était la première fois que j’ai signé un indebt, ou un contrat qui m’a engagé personnellement.

    JB : Ah, ils n’ont pas accepté la garantie d’entreprise ?

    SB : On n’en avait pas. On avait commencé une business. C’est normal que…je pense qu’on n’était même pas incorporé. On n’était pas incorporé, c’était enregistré. Le bail, il nous a pris à nos deux noms personnels, mais même à cet âge-là, tu n’as rien. Toujours est-il qu’on avait signé ce bail, et on n’avait pas de grosses dépenses, on était tous les deux sur le chômage. On vivait sur l’assurance chômage.

    JB : Mais pourquoi tu dis que c’était positif ?

    SB : Parce que c’était un cash-flow positif dans le sens qu’on vendait trop. Alors on vendait plus qu’on est capables de livrer à cause de notre financement.

    JB : Tu avances trop entre le moment où tu étais payé par ton client et quand tu achètes ?

    SB : Oui. Un exemple…Exact. C’est quand tes cartes de crédit sont loadées, puis tu n’es plus capable d’acheter. banque, tu trouves du cash pour acheter le produit que tu as vendu.

    Il est vendu, tu peux pas dire à ton à ton client : « Écoute, ma carte de crédit est loadée, tu peux… », surtout que nous autres nos clients, c’était toutes de grosses compagnies, de grandes entreprises.

    Alors tu ne peux pas expliquer : « Au Québec je ne peux pas te shipper ton produit parce que ma carte de crédit est loadée ». Tu ne peux pas appeler l’autre et lui dire : « Donne-moi ton chèque à l’avance parce que je dois acheter votre produit pour un autre client ». Ça ne marche pas, enfin on était comme un peu fourrés.

    Et je me dis qu’on a raconté des niaiseries en ce temps-là pour acheter du temps. On achetait du temps, on courait après le chèque. On a développé, c’était très… c’était une bonne école, on a développé 1) une compréhension de l’importance de casher rapidement les recevables. On a mis en place un système de contrôle des receveurs qui nous a suivi pendant 17 ans. Nous on a envoyé une facture en exemple le 1er janvier pour faire des dates, qui datait de 30 jours. Le 1er janvier, la facture est partie et la fille ou le go qui comptait recevoir le 15 du mois ou les 15 jours plus tard, on rappelait pour s’assurer que la facture est rentrée : « Tu as reçu la facture ? » « Est-ce qu’elle est signée ? Est-ce qu’elle a besoin d’approbation ? Qui fait aller l’approbation ?

    Tout est beau ? Tout est correct ? Vous savez que vous avez fait un délai de 30 jours ? » On n’a pas le paiement le jour 30. Au jour 28, ils rappelaient : « La facture va être payée dans deux jours, on veut juste s’assurer que tout est correct. Est-ce qu’on peut envoyer quelqu’un chercher le chèque ? ».

    JB : Je pense qu’on va faire ça…

    SB : On était très très tight sur nos recevables. On n’avait juste pas le choix, on n’avait pas d’argent. Alors on était très tight sur nos receveurs, puis ça nous a suivi ça pendant 17 ans. On a développé une culture du receveur qui était extrêmement bien gérée, même quand on avait des dizaines de millions de recevables.

    JB : Tu as monté ça à combien d’employés ?

    SB : 175. Au maximum, on a monté ça à 80… à peu près 80 millions de chiffres d’affaires.

    JB : Wow. J’ai une question : est-ce qu’il y a un moment où tu diriges une entreprise avec plein d’employés qui marche bien, puis dans le fond, tu n’as pas vraiment…Puis j’imagine qu’à un moment donné, à la fin, vous deviez vous verser vos dividendes, puis vous deviez pas être bons ?

    SB : Ouais. Non, mais ça a été l’histoire de… C’est l’histoire de tous les entrepreneurs. Je suis juste en bas Julien, mais est-ce qu’il y a des moments où en apparence tout va bien, mais la réalité c’est qu’on partait dans la boîte en dessous, puis on y est juste pour le bail. C’était ça toute notre histoire quasiment parce que la croissance était telle, puis on était tout le temps en recherche de financement.

    JB : OK. C’est un peu ce que j’avais lu le livre « Ce qu’on attend de Nike » puis jusqu’à l’entrée en Bourse, il dit qu’il avait peur de perdre sa maison à chaque fois qu’il y a des échéances de dettes qui arrivaient. Est-ce que… ?

    SB : Ce n’était peut-être pas à ce point, c’est-à-dire qu’on a commencé à se payer des salaires André et moi dès la deuxième année. C’était des salaires qui étaient… très ordinaires, mais qui permettaient de vivre puis rencontrer nos obligations personnelles. Et rapidement, on s’est donné une latitude en termes de salaire qui faisait qu’on avait un train de vie correct. J’ai acheté ma première maison en 89. Ouais, c’est ça en 89. Je l’ai acheté à Chambly parce que je n’avais pas les cennes pour l’acheter ici, à Longueuil, qui était trop cher dans le temps et j’ai payé 88 500$ ma maison.

    JB : Quoi ? En quelle année ?

    SB : En 1989.

    JB : Wow. J’imagine que la valeur a dû changer aujourd’hui.

    SB : Ouais, elle ne vaut plus grand-chose aujourd’hui, c’est une petite maison. C’est un 24 pi x 26 pi. C’était une petite maison.

    JB : Est-ce que tu l’as encore ?

    SB : Ah non, non non. J’ai gardé longtemps ma maison. Et donc c’était ma première maison que j’ai achetée avec un cash et une garantie hypothécaire du beau-père, donc du père de ma conjointe de l’époque avec un cash je pense de… c’était une grosse somme.

    JB : Mais est-ce qu’il y a des moments où tu sais… Bon, j’imagine qu’à un moment donné, vous vous êtes payé vos dividendes, puisque…

    SB : Non. On n’a jamais eu une cenne de dividende

    JB : Jamais une cenne de dividende ?

    SB : Presque jamais. On a tout réinvesti dans la baraque, en cashflow d’opérations. On a quand même eu des croissances assez importantes, puis le financement, comme je t’ai dit, c’était difficile à obtenir. Si tu ne capitalises pas, les banques ne te prennent pas.

    JB : Est-ce qu’il y avait des gens dans ton entourage qui pensaient que tu étais riche, puis que tu ne l’étais pas ? (Rires)

    SB : Tout le monde. Tout le monde. Dès que tu étais entrepreneur, puis que tu as une business qui roule, les gens pensent que tu as des millions, que tu fais des millions, que tu peux t’acheter toutes tes affaires. Moi, je ne prenais jamais de vacances. Jamais le temps de prendre des vacances. Les vacances qu’on prenait, on les prenait à la maison avec les enfants. Pour voyager, à l’âge de 40 ans, j’ai vraiment voyagé. J’ai fait des voyages d’affaires, puis les voyages d’affaire, comme je ne faisais pas de business international, j’allais au Comdex à Las Vegas une fois par année. Ça, c’était le gros voyage d’affaires,  on aller passer une semaine à Vegas. C’est comme j’ai dit, je n’avais pas le glam de ce qu’on peut croire de la vie des entrepreneurs.

    Puis, beaucoup beaucoup de mes employés gagnaient bien plus que moi et André. André et moi on se gagnait… Je me souviens à une époque, quand on a augmenté nos salaires de 42 000 à 75 000, ce qui était beaucoup, pour nous, comme salaire. On faisait… À l’époque André et moi on gagnait, je ne sais pas, 75 000 ? puis, j’avais au moins 5-6 vendeurs qui faisaient 100 000.

    JB : Ah, c’est ça des bons vendeurs, ça se paye.

    SB : Les vendeurs gagnaient bien plus que nous. Les autres avaient l’impression… Mais nous on a compris que le revenu, c’était une chose, mais ce qui était bien plus payant c’était l’équité. Bâtir l’équité dans le business c’est…

    JB : Est-ce que justement le fait de… Parce que tu sais, au Québec, notre patrimoine est…la plupart de la majorité de la population n’existait pas justement, les baby-boomers ont été la première génération à bâtir ce qu’on appelle un patrimoine.

    SB : Particulièrement les patrimoines de francophones, tu as raison, particulièrement des francophones.

    JB : Oui, c’est ça. C’est ça ce que je parle, des francophones. Et donc, ça fait en sorte que comme tu n’a pas de cennes, c’est que tu attends de vendre ta première entreprise, puis de se dire : « J’aurais un patrimoine, puis après ça je serais en sécurité ». Est-ce que ça a joué pour la vente de ton entreprise ?

    SB : Je ne pense pas que j’avais cette conscience sociale.

    JB : Non, mais au-delà du Québec, mais juste, est-ce que tu l’as vendue parce que tu voulais du cash ?

    SB : Non.

    JB : Si tu avais eu 3 millions avant, est-ce que tu l’aurais gardé plus longtemps ?

    SB : Peut-être. Peut-être, si j’avais 3-4-5 millions dans le compte de banque à l’époque, peut-être je l’aurais gardé un an ou deux de plus. Mais je ne l’aurais pas gardé, pareil parce que stratégiquement, l’entreprise était dans un play, dans un contexte économique qui fait que ce n’était pas un consolidateur. La taille de l’entreprise était trop petite pour avoir le profil du consolidateur.

    Alors c’était effectivement un marché de consolidation dans lequel on évoluait, maintenant après 17 ans. Le marché de consolidation, ça veut dire que les gros achètent les petits. Ce n’est pas les petits qui achètent les gros. C’est ça. Dans la nature, c’est les gros qui mangent les petits. Quand est-ce que tu veux le vendre quand tu es petit ? C’est quand ça ne va pas bien et puis que le marché a décidé de te faire la guerre. C’est quand ça vas bien et que tu fais de bons profits. Alors nous on l’a vendu, car justement, on avait un bon profit, la business faisait des profits, des millions en profits, c’était le temps de vendre.

    JB : OK. Puis après ça, est-ce que tu as eu une dépression ? Qu’est-ce qui s’est passé parce que tu travailles pendant 17 ans…

    SB : Ouais, la vie fait drôlement les choses. Moi j’avais dit qu’à 40 ans, je serais indépendant de fortune, c’était sur mon target.

    JB : Et puis finalement ?

    SB : Écoute, j’ai eu 40 ans le 21 janvier 2005.

    JB : Et tu as vendu quand ?

    SB : Et j’ai vendu le 15 février 2005.

    JB : Wow !

    SB : Capoté hein ?

    JB : Ce n’est pas rien tes objectifs. Moi j’avais dit que je serais millionnaire à 30 ans, puis là j’ai 32 et je suis cassé. 

    SB : Mais es-tu millionnaire sur papier ?

    JB : Quasiment.

    SB : Bon, alors tu l’es.

    JB : (Rires)

    SB : Tu vois, il y a des gens qui ne comprennent pas non plus ça, mais tu sais, j’étais millionnaire très longtemps. Quand tu dis tu es millionnaire, tout le monde pense que tu as un million dans ton compte en banque. Et puis là aujourd’hui je dis : « Je suis multimillionnaire, j’en ai plusieurs millions ! »

    « Oh mon Dieu ! T’es fucking riche ! » C’est ça tu dis : « Non, non, calmez-vous un peu ».

    Avoir beaucoup d’argent, quand il est sous forme d’actions dans les entreprises, ça ne donne pas d’argent dans tes poches. Moi j’ai été millionnaire très tôt, entre guillemets, parce que ma business valait peut-être 2 millions et puis mettons 50/50. Ma business valait 2 millions probablement quand j’avais 27 ans. Pas le fun dans mes poches, pareil. Ces 2 millions-là, c’est dans l’entreprise que je vais l’avoir.

    JB : C’est relatif aussi. Parce que ce n’est pas juste un actif immobile, c’est que tu ne sais pas si tu vas être capable de le prendre.

    SB : C’est extrêmement relatif. Alors, donc en papiers, tu peux être millionnaire bien avant de l’avoir en liquide. Mais je peux te garantir une chose, c’est que quand le papier devient liquide, il y a quelque chose qui se passe dans le cerveau, ce n’est pas pareil.

    JB : Qu’est-ce qui se passe ?

    SB : Tu mets ta main sur la pot of gold, tu mets ta main sur un sac d’écus d’or. Puis là, le sac d’écus d’or est bien concret. Et là, tu vois ce que ce sac d’écus d’or peut te donner comme qualité de vie, peut te donner comme pouvoir d’achat, comme pouvoir de réaliser tes options, tes rêves. Ça, ce n’est plus pareil comme quand tu détiens les actions dans une compagnie qui hypothétiquement vaut X millions de dollars.

    JB : C’est un peu… Je me suis dit que Mark Cuban dans l’entrevue avait dit, il regardait son compte de banque et il rafraîchissait toutes les 5 minutes. Est-ce que tu as eu cette journée quand tu attendais le virement ? (Rires)

    SB : (Rires) Je n’ai pas été tellement focusé sur l’argent dans ma vie. Même quand c’est arrivé ça, c’est arrivé avec un… ça a été accueilli avec une certaine naïveté enfantine.

    JB : C’est-à-dire ?

    SB : J’ai le ti-cul en moi que je laisse souvent s’exprimer. Je l’ai fait d’ailleurs ce matin avec de l’humour avec toi que tu n’as pas compris. Mais je laisse ce ti-cul là vivre souvent en moi. Alors moi quand c’est arrivé, la niaiserie la plus gênante à raconter, c’est j’ai déposé…il y avait de l’argent qui est rentré à mon compte personnel. J’avais des actions personnelles, j’en avais dans ma compagnie de gestion. Alors j’ai tout pris le gage de ma compagnie de gestion, je l’ai mis dans mon compte personnel, pour 24 heures, le temps que je sorte un solde à mon guichet automatique. Quand j’ai sorti le solde à mon guichet automatique, je voyais le million dans mon compte en banque : « Oh my god ! » Je voulais garder ça, puis je vais le framer. Mettre le papier dans le cadre.

    JB : Mais ça n’a pas un désavantage fiscal de faire ça ? 

    SB : Oui. Je l’ai remis dans la compagnie 24 heures plus tard. Je ne me suis pas mis dans ma compagnie.

    JB : Non, non non, dans le fond c’est…

    SB : Ouais, c’était prêt. Je l’ai mis  24 heures, juste le temps d’avoir tout le cash dans le même compte, de sortir le ticket…

    À l’époque j’avais fait, je ne sais pas, 2000$ ou 3 000$ dans mon compte de banque de façon régulière. Et là, c’était plusieurs millions.

    JB : Oh mon dieu ! 

    SB : Puis je voulais faire framer ça comme souvenir, puis je ne sais même pas ce que j’en ai fait.

    JB : Est-ce que c’était clair que ce que tu allais faire après, parce que quand tu travailles tout le temps, tu risques de t’ennuyer… 

    SB : Non, ce n’était pas clair parce que j’ai eu une période difficile parce que, il faut aussi que je te confie que j’ai eu une enfance assez complexe. On n’aura pas le temps de raconter tout ça là, mais j’ai eu une enfance assez complexe, donc une relation très très proche de ma mère.

    La vie a fait que ma mère est décédée entre le 21 janvier et 15 février. Alors ma mère en fait elle-même savait à peu près qu’elle s’en allait mourir le 21 janvier, le jour de mon 40ème anniversaire. Elle est décédée dans mes bras, 4 jours plus tard. Puis deux semaines après, je vendais la compagnie. Il y a eu dans cette année-là beaucoup de choses, de trop gros événements bouleversants dans ma vie et j’ai eu 40 ans. Ça va faire sourire, mais je peux vous dire quand tu prends 40-50 ans, je dirais plus 50, mais pas 40, mais moi le 40 m’est rentré dedans. Quand tu frappes 40 ans et qu’est-ce qui se passe ? Il y a eu, dans mon cas, la mort de ma mère qui comptait beaucoup pour moi.

    Puis j’ai vendu mon entreprise qui avait été ma famille pendant 17 ans. C’était mes amis, mes frères, mes sœurs pendant 17 ans. J’ai vendu cette organisation. C’était un gros gros deuil pour moi cette année-là. 2005 c’était l’année émotive complexe à gérer. Parce que j’ai eu l’impression de la part de tous les employés de les avoir trahis. C’est ce que j’ai eu comme feeling, c’est comme si on était trahi par le chef, le capitaine du bateau qui a mené le bateau et tout pendant 17 ans, en disant à « Yes, yes ! On va gagner là-dessus ! Let’s go, let’s go, let’s go ! » Puis boum ! sans avertissement, il a vendu le bateau puis, nous autres, on fait partie du bateau. Alors il y a eu tout ce sentiment de trahison. Ça c’était une période émotivement difficile.

    JB : Ouais, j’imagine oui. Puis comment tu t’es réinventé ? 

    SB : Pendant cette période-là, j’ai eu à faire la transition avec l’acheteur, donc l’acquéreur m’avait gardé. Ça faisait partie des négociations

    JB : Ah oui, et pendant combien de temps tu étais là-dedans ?

    SB : Six mois.

    JB : Six mois ? Wow.

    SB : Ouais, j’avais négocié ça aussi. C’était l’une des raisons pour laquelle j’ai préféré cet acheteur-là. Avec un autre acheteur, on avait une offre américaine et dans l’offre américaine il y avait un earn-out.

    Tu connais peut-être le mécanisme de l’earn-out ? Je vais t’expliquer rapidement, mais un earn-out c’est on te donne mettons… on va faire des faux chiffres, mais pour que tout le monde comprenne bien la mécanique. On achète la business à 1 million, puis on dit : «  on va vous donner 300 000 de suite, puis on va donner 700 000 le temps…On va te donner 700 000 tout de suite puis 300 000 à raison de 100 000 par année les 3 prochaines années si tu remplis les objectifs que tu avais dit que tu ferais avec ce business ».

    JB : OK.

    SB : Alors ça c’est un earn-out, où il y a une partie que tu earn, que tu dois mériter pour dans le temps pour ramasser tout ton prix. Alors on avait une offre américaine qui était beaucoup plus avantageuse, qui comportait quelques millions en earn-out. Et moi ça me frustrait beaucoup d’accepter cette offre pour deux raisons. La première, j’étais le seul qui restait dans le bateau, les partenaires étaient tous ligotés. Donc moi, pour que mes partenaires s’enrichissent, il fallait que je reste dans le bateau pendant 3 ans. Ça me faisait chier au carré.

    JB : C’est clair que c’est…

    SB : Je ne trouvais pas ça bien fair, à moins de le prendre au complet le montant supplémentaire. Alors il est rentré une autre offre d’un joueur canadien, qui était moins substantielle, qui était quelques millions inférieurs, mais était 100% cash. Donc il n’y a pas de earn-out et il gardait Serge juste six mois. Donc ça, c’était un bon deal.

    On peut faire la transaction, je peux vivre avec six mois. Alors ils m’ont gardé pendant six mois. Ces six mois-là, j’ai eu le temps et même de prendre un break. Je me dis : « Mais qu’est-ce que je fais de ma vie maintenant ? » Et la condition ça a été trois choses. J’ai dit : « J’ai encore envie de faire de la business, donc je continue à faire de la business, mais je ne veux pas recommencer la même que j’ai fait ». Parce que je n’ai pas besoin de rajouter d’autres millions. C’est bien personnel, j’ai bien bâti. Il y a des gens qui n’en ont jamais assez, ils font 200, ils en veulent 400, ils font 400, ils en veulent 800.

    Moi je n’ai pas besoin de tant que ça. Tu sais « J’aime ça, puis je vais en prendre encore ». Je ne vais pas dire non, mais je n’ai pas besoin de faire avec la même ardeur, la même revendication, le même investissement en temps, santé et énergie que j’ai eu parce que je l’ai fait. Alors ça, je dis : « Je veux faire de la business encore, mais différemment ». J’aurais dû maintenant prendre des parts dans des projets, un petit peu être l’opérateur, comme ça ben… ce n’est pas moi qui opère.Je peux toujours prendre quatre mois de vacances, ça ne dérange personne.

    Puis je ne prends part à la patente, en fait si la patente elle marche, mais j’ai une part du gâteau. Je ne l’aurais pas au complet, mais j’aurais une part du gâteau. Donc c’était la même vision. Donc ça, c’était un tiers de ma vie. L’autre tiers de ma vie, je voulais redonner. Je voulais m’investir. En fait je suis un gars idéaliste. Je voulais aider ma communauté, puis j’ai un talent. Je pense qu’on a tous quelques talents. Chacun a son lot de talents, moi j’en ai un. Puis, j’ai une croyance personnelle qui est mon devoir sur cette Terre, c’est d’exprimer mon talent de sa meilleure façon. C’est mon job d’être le mieux que je peux être moi. Je donne ça avec des mots-là, mais je vais te l’imager : il y a un chêne et pas le peuplier. Mais le job du chêne, ce n’est pas de se prendre pour un peuplier, c’est d’être un chêne. Mais c’est un job, c’est d’être le plus beau chêne qu’il peut être dans l’environnement qu’il naît. C’est parce qu’il n’est pas responsable si son terroir n’est pas riche. Il ne peut pas être le gros chêne qu’il peut, il n’a pas les nutriments nécessaires. Son job c’est quand même… une plante, elle ne se pose pas de questions. Elle fait le maximum pour s’adapter.

    JB : Quel type de plante es-tu Serge ?

    SB : Peut-être un chêne (Rires) Quelque chose de solide, quelque chose de solide, quelque chose sur lequel on peut s’appuyer, quelque chose qui aime s’enraciner, qui aime vivre avec son environnement, qui aime nourrir les écureuils autour, les abriter, prendre soin des autres aussi.

    JB : Tu as investi dans combien d’entreprises ? Parce que je sais que tu as été…

    SB : Une douzaine facile, plus que ça. Ça fait presque 20 ans parce qu’il y a du in and out là-dedans.

    JB : C’est quoi ta plus grosse sortie ?

    SB : Je n’ai pas beaucoup de sorties en tête.

    JB : Ou les entrées ? (Rires)

    SB : Beaucoup d’entrées puis quelques sorties catastrophiques. 

    JB : Pour ceux qui nous écoutent, les sorties c’est quand l’investisseur revend ses parts, soit parce que l’entreprise est achetée ou s’en va en Bourse ou ainsi de suite.

    SB : Ma plus grosse sortie, c’est 3Soft forcément. J’ai eu une bonne sortie avec BonLook aussi. J’aurais eu bien meilleure sortie si j’étais resté, mais comme je t’ai expliqué tantôt, je suis quelqu’un qui a des convictions idéalistes et…

    JB : Tu étais sorti quand les private equity sont rentrés ou… ?

    SB : Ouais exact, mais j’étais un des acteurs de cette sortie, puisque les actionnaires, à l’époque, cherchaient des fonds, puis c’était difficile de les obtenir avec des partenaires en place. Alors les private equity ont dit : « Écoutez, on va mettre plus d’argent que vous en voulez parce que notre minimum check c’est mettons X millions de dollars. Mais il faut sortir quelques partenaires avant ». Alors moi j’ai levé la main pour aider les jeunes en disant : « Écoute, vous allez trouver un partenaire financier qui va vous soutenir pour plus longtemps, avec un peu plus… avec une meilleure dynamique que ce qu’on vous offre actuellement ». Alors moi, j’ai envoyé une lettre aux autres en disant : « C’est notre devoir de sortir ou de faire un chèque » (Rires) Mais on ne va pas faire un chèque, alors il faut sortir. Mais c’était une bonne sortie. Pour moi, j’ai fait un bon rendement sur mon placement. Je suis juste amer d’être sorti parce que c’était une business dans laquelle je croyais énormément.

    JB : Je sais qu’en te parlant puis je pense que c’est évident pour tout le monde qui t’ont écouté à la télé que tu as vraiment une carrière d’entrepreneur. Puis, je me demande… Pourquoi investis-tu dans des entreprises privées? En tant que catégorie d’actifs, les rendements ajustés pour le risque ne sont pas intéressant pour le capital de risque. Et moi, je me suis toujours posé la question : « Pourquoi les gens investissent là-dedans ? » La seule réponse, c’est parce qu’ils en ont envie, plus que parce que c’est une catégorie d’actifs intelligente à avoir dans un portefeuille. Puis, j’aimerais savoir ta vision, parce que toi, tu as de l’argent là-dedans. Est-ce que, sur le plan strictement financier, ça a du sens ou c’est parce que tu y crois, que tu veux faire partie de ça ?

    SB : Je dirais un peu des deux. On va prendre juste pour le fun une fortune de 100 millions, ou ce qu’on a. Il n’y a personne qui a 100 millions, qui va prendre 100 millions et qui le met au complet dans du capital de risque. Ça s’appelle du capital de risque. Le risque est présent. Alors sur les 100 millions, tu vas consacrer par exemple 5-10% de ton capital. Mettons que je veux aller à 10 millions pour garder les choses simples. Parce que prendre 10 millions de ton capital, que tu vas dire : « Avec celui-ci, je vais prendre plus de risques ». Je m’attends donc à un rendement proportionnel à la plus-value ou à la proportion de risque que je vais prendre quand je vais prendre un portefeuille. Mais un capital de risque c’est aussi une partie de ton portefeuille qui souvent est, en tout cas pour ma part et pour la part de beaucoup gens que je vois dans ce domaine, et surtout les institutionnels, même les individus, c’est une partie que tu dois oublier, mais il y a une élastique après le don. Ce n’est pas un don ridicule que je donne. C’est un don, mais ce n’est pas un don. C’est un montant que je consacre à quelque chose qui va aider ma société, qui va aider mon environnement, qui va aider ma planète, qui va aider mes enfants, qui va aider les enfants. Puis en même temps, si ça marche, ça va me payer aussi. Si ça ne marche pas, je ne suis pas en train de faire faillite. Alors c’est souvent cette mentalité-là je pense qui anime les anges financiers, les capital risqueurs.

    Quand tu pars à un fonds, tu vas solliciter les 10 millions de la fortune de 100 millions. Je ne sais pas si tu me suis. Admettons que tu pars un fonds, le fonds d’investissement Hardbacon par exemple, tu vas chercher à avoir un fonds de 100 millions et tu vas aller voir par exemple 10 fortunes de 100 millions, puis tu vas leur demander chacun 10 millions. Là, je fais des images, mais pour ramasser son 100 millions, alors tu te ramasses avec une dizaine de gens. Puis, quelque part, c’est sous-entendu qu’on ne va pas mourir si on perd cet argent-là. On va gérer pour avoir un maximum de rendement possible. Les choses sont bien faites, mais c’est un peu ça aussi la philosophie derrière.

    JB: Est-ce que c’est un peu avec la même philosophie que tu as lancé Alias Entrepreneur ?

    Je suis allé à beaucoup d’événements. Puis c’est intéressant parce que moi, je viens du monde des startups, puis il y a beaucoup d’événements, puis tu as du monde qui n’étaient pas en tech en général en fait. J’ai rencontré du monde super brillants qui n’étaient de mon univers. Puis je me disais, j’ai l’impression qu’il y a peut-être moins d’événements pour les autres entrepreneurs…  C’est pour ça que ça existe Alias. En fait, moi j’ai créé Alias Entrepreneur, à la base, c’est sorti cette année, en mai 2018. Et ma volonté c’était de donner une voix et de regrouper les gens qui justement ne sont pas sexy pour le monde des médias.

    JB : (Rires)

    SB : Qui ne sont pas sexy pour le capital de risque, capital de risque je sais, je suis au Comité d’investissement chez Investissement Québec et, entre autres, chez Anges Québec depuis de nombreuses années, et on est attirés par les potentiels de croissance importants, les potentiels de croissance mondiale, ainsi de suite. Alors ce qu’on cherche, puis tu sais que ces potentiels-là, ce n’est pas l’opérateur d’une petite manufacture de pièces usinées, ce n’est pas le distributeur d’équipement industriel. C’est pas eux autres qu’on regarde, c’est les gars comme toi, c’est les applications, c’est les trucs qui peuvent toucher la planète. Alors si les autres qui ont l’attention médiatique, l’attention des fonds et tout ça, ce n’est pas nécessairement cette sphère-là dans la sphère, ou ce n’est pas cette sphère-là de la sphère entrepreneuriale. Ce n’est pas le plus gros driver d’emploi.

    JB : Ah ? Non, ce n’est pas ça ?

    SB : Non. Le gros driver d’emploi, c’est un paquet de PME qui ont 20 employés et moins. Savais-tu que c’est 38% de la workforce canadienne qui travaille dans les entreprises de moins de 20 employés ?

    JB : Combien, 38 ?

    SB : 38% qui travaillent à moins de 20 employés. C’est-à-dire qu’il y a beaucoup beaucoup de monde quand même dans ces business-là. Ils sont gérés par un méchant paquet d’entrepreneurs qui eux autres, personne ne leur parle. Personne ne leur adresse la parole vraiment, il y a un groupement des chefs, il y a les Chambres de commerce. Mais c’est des mouvements qui, à mon avis, à certains égards ont mal vieilli.

    JB : Effectivement, il y a des costumes (Rires)

    SB : Mais ce n’est pas par mauvaise intention, mais l’école des Chambres de commerce est restée trop attachée à ses traditions. Elle ne s’est pas réinventée adéquatement, qui fait que les jeunes comme toi, les jeunes entrepreneurs tous azimuts, se retrouvent moins bien dans ces réunions-là, alors ils cherchent ailleurs.

    JB : Ça coûte combien Alias Entrepreneur ?

    SB : Ça coûte… pour l’instant…

    JB : Moi j’ai l’ai eu gratuitement parce que notre compte est à la Banque Nationale.

    SB : Exactement. Ce que j’allais dire c’est que c’est 1 piastres par jour. Alors c’est la version 1.

    JB : C’est quoi le vrai prix ?

    SB : C’est 150 piastres plus taxes.

    JB : OK.

    SB : Il y a de coupons rabais qu’on peut avoir avec certains affiliés.

    JB : Est-ce qu’on pourrait offrir ça aux membres de Hardbacon ? Non ?

    SB : Ouais, ouais. On peut faire ça avec les membres de Hardbacon. Là, mon Webmaster m’écoute peut-être là.

    JB : (Rires) Pour ceux qui nous écoutent, on va ajouter le promocode, si c’est un promo code.

    SB : Ouais, je vais faire créer le Serge… tiens, on va appeler ça HB, tiens. HB20.  Ouais, je vais faire créer le Serge…

    JB : OK.

    SB : HB20. Il ne marche pas là, là, mais j’en fais créer avant 5h ce soir.

    JB : (Rires.) Oh, wow ! C’est génial, merci.

    SB : HB20 puis on va vous donner 20% de remise.

    JB : Ah, puis il y a une question qu’il faut absolument que je pose avant de closer, c’est est-ce que tu as des investissements en Bourse ? Parce que c’est ça qu’on fait, donc…

    SB : Oui. Mon portefeuille est composé de 65% de placements boursiers. 35% de revenus, puis personnellement, j’ai un petit index personnel que je me suis créé de stocks, en 2014, puis je joue un peu avec ça aussi.

    JB : Est-ce que c’est toi qui gères ton portefeuille d’actions ?

    SB : Non.

    JB : Ou tu as un conseiller en placement ou un conseiller en patrimoine ?

    SB : J’ai une gestion de patrimoine financier à la Banque Nationale.

    JB : OK.

    SB : C’est eux autres qui gèrent mes avoirs en grande partie.

    JB : OK.

    SB : Mais j’ai aussi un placement, un gros portefeuille de placements privés, donc je suis Strom Spa.

    Il faut que tu te rappelles que je suis quand même un bon actionnaire dans Strom Spa. Je suis actionnaire chez Devolutions, je suis actionnaire dans une dizaine d’entreprises privées.

    JB : Et puis, toi, dans le fond, tu gères la partie portefeuille privé ?

    SB : Pour le portefeuille privé, c’est moi.

    JB : Et lu laisses à d’autres le soin de gérer des investissements en Bourse?

    SB : Exactement. C’est ça. Eux autres ils sont plus dynamiques que moi. Ils suivent toutes les tendances, lisent les nouvelles, ils lisent… Moi je ne peux pas tout faire, donc…

    JB : Puis est-ce que eux, en tant que gestion de ta partie mobile, la partie valeur mobilière, ils tiennent compte de l’ensemble de tes activités ? Est-ce qu’ils savent, est-ce qu’ils connaissent que tu as portefeuille ?

    SB : Oui. Ils connaissent mon bilan, je leur envoie mon bilan que je fais moi-même une fois par année, des fois deux fois par année. J’ai des rencontres trois-quatre fois par année avec eux autres. On revoie la composition de mon portefeuille, les stratégies, mes besoins : « Où est-ce que tu t’en vas, qu’est-ce que tu fais ? » Tu vois comme par exemple, moi j’étais en structure corporative donc mes fonds sont détenus dans une structure corporative, ils les mettent dans des fonds mutuels par exemple.

    La beauté de tout ça c’est que je n’ai pas à faire des transactions à toutes les années. Je n’ai pratiquement pas d’impacts impôts parce que mon impact fiscal est reporté là-dedans. C’est la corporation qui trade pour moi. Moi j’ai des parts à la corporation. Alors donc c’est extrêmement avantageux parce que ça repousse l’impôt. J’ai une police d’assurance pour mes impôts au décès. Enfin techniquement, je paierai… probablement jamais cet impôt-là. Moi personnellement, je la paye, mais je la paye à travers mes polices d’assurance. Je ne paye pas l’impôt à toutes les années.

    JB : Est-ce que quand tu étais dans ton entreprise, j’imagine qu’il y a plein de choses que tu ne savais pas par rapport à gérer du cash en grande quantité. Est-ce que c’est tous les conseillers, les gens qui géraient l’argent qui t’ont enseigné ça ou tu as été chercher des consultants ou d’autres gens pour être sûr de savoir ?

    SB : Non. Je te dirai que c’est très difficile d’accéder à ces compétences-là et ces connaissances-là, même de la part des bonnes personnes bien intentionnées, parce que les bonnes personnes bien intentionnées maîtrisent le vocabulaire, puis elles pensent que toi tu comprends. Alors ils t’expliquent un exemple, moi les premières années, très naïvement, candidement, je me confie là, mais… j’avais 40 ans, j’avais de la misère à comprendre la différence entre revenu dividende, revenu de gain en capital, l’impôt sur gain de capital, les revenus reportés, l’impôt en main reporté, enfin toutes sortes d’affaires et de concepts. J’avais beau me les faire expliquer, à chaque fois, j’étais quand même un petit peu gêné, j’ai dit : « Je n’ai rien compris ».

    Alors c’est le temps. C’est le temps de se poser des questions, de prendre un chum une fois de temps en temps, puis de lui dire que tu ne comprends rien, puis de poser des questions jusqu’à ce que tu finisses par comprendre. Ça m’a pris bien des années pour comprendre ce que j’ai fait dans une capsule d’Alias par exemple qui explique qu’il y a trois grandes catégories d’impôts. Il y a l’impôt sur le revenu, l’impôt sur le gain de capital et l’impôt sur les dividendes. Mais ça, la notion de dividende pour moi ce n’était pas clair, que si tu n’as pas du revenu, etc…

    JB : Ah ! Tu ne savais pas que ça existait, c’est pour ça que tu n’en versais pas (Rires)

    SB : Probablement. Mais honnêtement, je ne savais pas exactement ce que c’était un dividende, même quand j’étais entrepreneur. Un dividende, c’est un revenu. C’était pas clair pour moi la différence. Alors toute cette mécanique-là, de me payer mon salaire en dividende au lieu d’un revenu, ou d’une partie en dividende ou en revenu, je ne comprenais pas vraiment. Mon comptable me disait ça, puis on le faisait, on le faisait, mais je n’aurais pas pu t’expliquer ce que c’était et te dire exactement ce que c’était. Comment j’ai appris ? À force… 1) en admettant que je ne comprenais pas, puis en admettant ça à des gens en qui j’avais une certaine confiance que je ne me ferais pas ridiculiser. Puis, j’ai posé des questions jusqu’à ce que je puisse bien comprendre.

    JB : Merci beaucoup Serge.

    SB : Avec grand plaisir, Julien. Je te souhaite un bon succès avec cette capsule-là ou avec cette série-là. Espérons que tu envoies de nombreux hôtes. C’est très important je pense pour les gens de montrer leur littératie financière, de mieux comprendre les termes d’argent. Quand on parle d’argent, on dit que l’argent c’est tabou, mais ce n’est pas juste l’argent qui est tabou, c’est tout ce qui touche l’argent, tout ce qui… l’impôt, la fiscalité, l’assurance… Tous ces vocabulaires-là, les gens s’en tiennent loin. Il ne faut pas parler d’argent, il ne faut pas parler de tout ce qui l’entoure , ce qui est une grave erreur je pense. Alors bravo à toi de démocratiser tout ça.

    JB : Merci.

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    Julien a co-fondé Hardbacon pour aider les Canadiens à prendre de meilleures décisions en matière d’investissement. Depuis, il a levé plus de trois millions de dollars et conclu des partenariats stratégiques avec des institutions financières de partout au pays. Avant de lancer Hardbacon, Julien a partagé sa passion pour les finances personnelles et la Bourse en tant que journaliste économique pour Les Affaires. Il a aussi passé le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) et, au fil des ans, a collaboré à différents médias incluant Radio-Canada, LCN et Urbania.